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    Toile géomatique francophone

     
    • sur Du 19 au 21 mars 2024 à Lille : formation "savoir utiliser les Fichiers fonciers"

      Publié: 8 January 2024, 11:30am CET
      Publié le 09 novembre 2023

      Une session de formation "Savoir utiliser les Fichiers fonciers" se tiendra du 19 au 21 mars 2024 dans les locaux du Cerema Hauts-de-France à Lille.Cette session est à destination des bénéficiaires des Fichiers fonciers et des bureaux d'études.Vous trouverez le contenu et le coût de la formation dans la rubrique AccompagnementInscription jusqu'au 15 février (…)

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    • sur Paris colonial et anticolonial

      Publié: 3 January 2024, 7:39pm CET par r.a.

      Dorigny M., Ruscio A., 2023, Paris colonial et anticolonial. Promenades dans la capitale. Une histoire de l’esclavage et de la colonisation, Maisonneuve et Larose Nouvelles Éditions/Hémisphères-Éditions, Paris, 315 p.

      Marcel Dorigny et Alain Ruscio livrent une importante publication, sur les traces, sur l’empreinte viaire et statuaire, dans l’espace public parisien, à travers quatre siècles d’histoire esclavagiste et coloniale. Ces deux historiens placent au cœur de leur recherche la traite négrière et les conquêtes coloniales. La posture intellectuelle adoptée évite tout excès de paradigme victimaire, toute proximité avec certaines positions woke contemporaines, et recommande une contextualisation des statues et des noms de rues qui sont en débat ou contestés. Cette publication, qui a demandé douze ans de recherches, a été conduite à son terme par Alain Ruscio, postérieurement au décès de Marcel Dorigny en 2021.

      Deux composantes occupent une grande part de l’ouvrage, d’une part une recension des noms de rues, des places et des monuments, en lien avec la colonisation, présentés par arrondissement, d’autre part un long inventaire biographique des personnalités citées dans l’étude. La qualité de l’iconographie, en particulier photographique, souvent l’œuvre de Alain Ruscio et de Françoise Dorigny, mérite d’être soulignée.

      La méthode retenue pour mesurer l’empreinte coloniale et anticoloniale, dans l’espace public, a recours à l’odonymie, à l’analyse des monuments, à celle des effigies, au contenu des musées et des cimetières. Par contre, les auteurs excluent les œuvres trop éphémères de l’art urbain.

      Les deux historiens privilégient le terme de roman national, plus ouvert aux figures artistiques et aux personnalités religieuses, à celui de récit national, une notion davantage politique et moins inclusive. Il n’est donc pas surprenant que l’entrée sur le Panthéon, temple du récit national, soit assez restreinte, bien que commémorant certaines personnalités opposées à l’esclavagisme (Victor Schoelcher, Toussaint Louverture, Louis Delgrès). Mettre en avant le roman national permet également aux auteurs d’évoquer certaines figures littéraires : Albert Camus, André Breton, Louis Aragon, Roland Dorgelès, Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Kateb Yacine.

      Participant des recherches contemporaines et de la publication de la Liste des 318, réunie par l’historien Pascal Blanchard, à la demande du Président Emmanuel Macron, le volumineux inventaire biographique de cet ouvrage consacre une large part aux « nouveaux héros », dont les noms sont utilisés de manière croissante par les municipalités françaises, pour dire l’espace public. Ils ont pour noms Abd-el-Kader, Faraht Hached, la mulâtresse Solitude, Abdelkader Mesli, louis Delgrès, Franz Fanon, Toussaint Louverture. Les hommages récents aux femmes dans la colonisation ou dans la décolonisation, rendus à Paris, par une odonymie volontariste, sont judicieusement présentés (les sœurs Nadal, Isabelle Eberhardt, Madeleine Rebérioux).

      Les auteurs insistent également sur le peu de noms liés au monde religieux, partisans ou opposés à la colonisation, dans l’odonymie parisienne (cardinal Lavigerie, le père Charles de Foucauld, Albert Schweitzer, la religieuse Anne-Marie Javouhey). Les figures musulmanes ayant gravité autour de la mosquée de Paris (Kaddour Benghabrit, Abdelkader Mesli), mais également Mohamed Akroun, font également partie de la recension biographique.

      Le livre montre bien également, l’absence de deux régions du monde, dans le paysage viaire parisien : l’océan Pacifique et l’Afrique subsaharienne. À l’inverse, l’empreinte nominale des anciennes colonies françaises d’Amérique, sans recourir à une incarnation historique, mais au moyen de noms d’îles, de régions et de pays, maille le quartier dit de l’Olive, en fait le marché de la Chapelle, dans le XVIIIe arrondissement. Il s’agit des rues de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Louisine, du Canada et de la place de la République Dominicaine.

       

      Jean Rieucau, Professeur émérite de géographie, janvier 2024

    • sur Protéger la forêt au pays du soja ? (Brésil)

      Publié: 2 January 2024, 9:23pm CET par r.a.

      Les Cafés Géo de Montpellier ont reçu Ludivine Eloy, directrice de recherche au CNRS et membre du laboratoire ART-Dev à Montpellier, afin de parler des causes et des conséquences sociales, économiques, politiques et surtout environnementales de la déforestation au Brésil.

      La déforestation au Brésil
      Le phénomène de déforestation au Brésil commence avec la colonisation au Sud et à l’Est du pays et progresse depuis, en direction du Nord et de l’intérieur des terres. Sur les 82 millions d’hectares de végétation naturelle perdus entre 1985 et 2020 (9,6 % de la superficie nationale), 71 millions d’hectares (86%) sont situés en Amazonie et dans le Cerrado, c’est-à-dire la moitié nord du pays, où se trouvent également l’essentiel des aires protégées (90%). Pendant cette période, le Brésil a innové dans la lutte contre la déforestation avec la mise en place de différents outils financés et issus de mobilisations locales, régionales et internationales. Malgré ces innovations la question reste la même, pourquoi la déforestation continue-t-elle de progresser ? Le Brésil a mis en place différents instruments de politique environnementale selon le statut foncier : alors que les aires protégées correspondent, pour la plupart, à des terres publiques, sur les propriétés privées, c’est le code forestier qui s’applique. Les aires protégées, dépendantes de l’Etat, bénéficient normalement d’un périmètre délimité, avec une équipe de protection. Cependant, le mandat de Bolsonaro a sapé ce système de contrôle, qui, combiné à une baisse drastique du budget, a conduit à un déboisement record dans les aires protégées. Les terrains privés sont régis par le code forestier. Ce code a été créé dans les années 1930 et a établi depuis 1965 deux nouvelles modalités : la Réserve Légale et l’Aire de Protection Permanente. Il impose aux propriétaires d’avoir sur leur terrain une réserve légale. Il s’agit d’un pourcentage de la propriété privée qui doit être préservé en végétation naturelle, avec un pourcentage qui varie selon la région considérée indiqué dans la loi : il varie entre 20% dans le Cerrado et 80% dans l’Amazonie.
      Cependant, jusque dans les années 2000 le pays avait peu de moyens de contrôle de ces règles. Un tournant est marqué par l’arrivée à la tête du gouvernement de Luiz Inácio Lula da Silva, qui place Marina Silva au ministère de l’environnement. En effet, de nouveaux moyens sont mis en place afin d’endiguer le déboisement illégal. Parmi eux, entre autres, une police environnementale, l’usage de la télédétection pour contrôler les parcelles, le blocage des crédits bancaires des municipalités en tête de la déforestation. C’est à partir de 2005 que la déforestation diminue, ce qui s’avère être une nouvelle importante pour le Brésil qui peut par la suite se positionner de manière plus forte sur la scène internationale, notamment dans les négociations sur les changements climatiques. Le taux de déforestation remonte cependant en 2012 et s’accentue en 2019 sous la présidence de Jair Bolsonaro. Depuis 2021, le gouvernement du président Lula a remis en place une politique forte de lutte contre la déforestation en Amazonie, mais au détriment de la région du Cerrado.

      La région du Cerrado :  un eldorado de l’exploitation ?
      La baisse de la déforestation ne s’applique qu’à l’Amazonie. C’est en effet vers le Cerrado, un territoire composé majoritairement de terres privées, que la pression et l’utilisation agricole extensive des terres se sont déplacées. Légalement, dans le biome Cerrado, la réserve légale oscille entre 20% et 35% du territoire. En 2021 seulement 13,4% de ce territoire rentre dans le classement des aires protégées, contre 34,4% de l’Amazonie (où 65% des terres sont publiques). Même si depuis 2021, la politique de lutte contre la déforestation en Amazonie bat son plein, la déforestation dans le Cerrado ne cesse d’augmenter. En 2023 les chiffres le prouvent, avec une baisse de la déforestation de 7,4% en Amazonie et une hausse de 16,5% dans le Cerrado (Gabriela Monceau, 2023). Le Cerrado est la région des hauts plateaux centraux et la savane tropicale la plus riche en biodiversité du monde. La région alterne entre des prairies naturelles, des forêts sèches, humides, des palmeraies et des cours d’eau. Le Cerrado abrite par exemple le Jalapão, une mosaïque d’aires protégées qui abrite une grande biodiversité. Le Cerrado abrite les sources de huit des douze fleuves principaux du pays, ce qui lui donne le nom de “Château d’eau du Brésil”. Il s’agit en fait d’une « forêt inversée » composée d’arbres tortueux et petits avec un système racinaire très développé qui permet à l’eau de s’infiltrer et d’alimenter les nappes phréatiques. Toutes ces caractéristiques font du Cerrado un biome considéré comme sacrifié face à une déforestation deux fois plus élevée qu’en Amazonie. Le Cerrado, comme d’autres savanes, n’a été reconnu comme “utile à l’environnement” et donc comme un espace à protéger qu’à la fin des années 1990. Les forêts tropicales comme l’Amazonie étaient, elles, reconnues et protégées dans les années 1960. La protection tardive du Cerrado a contribué à faire de ce territoire un haut lieu de la déforestation. L’explosion de la production de soja à des fins d’exportation en Europe et en Asie (transformation du soja en nourriture pour l’élevage), dans les années 1990, est décisive dans ce processus. Aujourd’hui, la production de soja et les investissements se concentrent dans la région.

      Le rôle et le poids de la production de soja, de l’agroindustrie et de l’agrobusiness dans la déforestation et la réformation du code forestier.
      Le soja[1] est le fer de lance de l’agriculture entrepreneuriale brésilienne. En effet, il représente à lui seul 20% de la surface cultivée, et ce sont plus de 45 millions d’hectares qui lui sont consacrés : il façonne ainsi le territoire brésilien. Le démantèlement progressif des politiques environnementales au Brésil, dans le but de favoriser l’implantation du soja, a commencé en 2012 avec le changement du code forestier appuyé par les lobbies de l’agrobusiness. Ce dernier consiste, entre autres, à réduire les Aires de Protection Permanente, les pourcentages réglementaires des réserves légales ; ou encore une diminution des moyens de contrôle du déboisement illégal, notamment dans les aires protégées. Bien qu’un système de compensation via un marché de quotas a été mis en place, ce dernier ne fonctionne pas. En outre, les réserves légales peuvent être déplacées d’un lieu à un autre, permettant de choisir des lieux moins propices à l’agriculture. Cette nouvelle réglementation favorise l’expansion agricole et donc la déforestation.
      Un autre point central de la réforme du code forestier en 2012 est la création du Cadastre Environnemental Rural (CAR). Outil de contrôle contre la déforestation, ce registre obligatoire conditionne l’obtention de prêts bancaires, mais reste auto déclaratif. On constate une quasi absence de contrôle sur les informations rentrées par les agriculteurs (taille de la parcelle, taille de la réserve, etc.) et laisse une part de fraude possible. L’adhésion en masse au CAR s’explique par des campagnes d’enregistrement sur le terrain, financées en partie par le “Fonds Amazonie”. En effet, l’équivalent de 90 millions d’euros est utilisé entre 2008 et 2020 de ce fonds pour financer la mise en place du CAR.
      Pourtant, le CAR est la condition pour obtenir des licences de déboisement et des droits d’eau. Des conflits émergent donc : entre l’accès à l’outil pour des personnes sans titre de propriété et les figures de l’agrobusiness, et entre les agriculteurs et les aires protégées.
      Le soja était auparavant cultivé par des petites entreprises familiales, aujourd’hui l’agro-industrie les absorbe en prenant la forme de plus grosses entreprises familiales ou de sociétés d’investissement qui se développent en filiales. Ce secteur déploie par ailleurs un discours environnemental qu’il convient d’analyser. Dans les faits, les entreprises sont multi-situées et organisées en filiales. Elles peuvent donc se positionner sur les fronts de déforestation via leurs filiales et afficher un contrôle du déboisement et le respect de la loi dans les zones dites « consolidées ». Ainsi, le soja induit de nombreux conflits socio-environnementaux, notamment dans la préservation des ressources et de l’accaparement de celles-ci.

      Quelles conséquences pour ces territoires : liens entre conflits de déboisement, conflits hydrauliques et d’usage
      Dans l’ouest de l’État de Bahia, un scénario de conflit autour des ressources hydriques et forestières a émergé, opposant les agriculteurs de l’agrobusiness aux petits exploitants. Cette lutte est alimentée par une utilisation intensive de l’eau par le secteur de l’agrobusiness, mettant en péril l’équilibre hydrique de la région. Face à cette situation, les communautés locales ont pris l’initiative de clôturer les sources des rivières (veredas) dans le but de protéger la ressource en eau, essentielle à la survie de plus de 3000 familles. Ces clôtures sont pourtant peu de chose face au déploiement de systèmes d’irrigation en pivot sur les plateaux en amont, utilisés par les grands agriculteurs, privant ainsi les communautés locales de leur accès à cette ressource vitale.

      La surexploitation de l’eau a conduit à une diminution significative du volume et du débit du Rio Grande. A l’échelle du Cerrado, c’est environ une perte de 15% des réserves d’eau. Cette réduction drastique affecte également les canaux d’irrigation ancestraux, cruciaux pour la culture durant la saison sèche par les petites exploitations, mettant en péril les moyens de subsistance de nombreuses populations locales.

      En parallèle, l’intensification de la culture du soja a eu des conséquences dévastatrices sur les écosystèmes. L’arrachage des systèmes racinaires, essentiels à la rétention et à la circulation de l’eau, a engendré une érosion accélérée des sols. Cette dégradation combinée à l’amendement des sols en calcaire a perturbé la capacité d’infiltration de l’eau, ce qui, associé au pompage croissant de l’eau souterraine, favorise ainsi la baisse du niveau de la nappe phréatique. Ce rabaissement de la nappe a augmenté les risques de feux de tourbières (incendies souterrains), aggravant davantage la détérioration des écosystèmes locaux.
      Face à ces défis multiples et interconnectés, la collaboration des communautés locales pour préserver les ressources naturelles et restaurer l’équilibre écologique s’avère cruciale, mais il est également essentiel de mettre en évidence et de quantifier l’impact environnemental de l’agrobusiness. Ces actions collectives visent non seulement à assurer l’accès équitable à l’eau, mais aussi à protéger les écosystèmes fragiles du Cerrado, nécessitant une approche durable et collaborative pour un avenir environnemental plus viable dans la région de l’ouest de l’État de Bahia

      Conclusion

      Un constat grave et des enjeux multiples et interconnectés
      Les enjeux de géopolitique environnementale, de déforestation, de gestion hydrique de conflits agro-pastoraux et de conflits d’usage sont liés. La stratégie du secteur agroindustriel et des réglementations gouvernementales a des impacts environnementaux et sociaux qui alimentent les inégalités sociales. Historiquement, un contre-pouvoir se dresse face à ces pratiques à travers des associations locales, régionales, organisées en fédération, mais qui se focalisent sur les problématiques foncières. Les ONG (Organisations Non Gouvernementales) ont une position ambivalente et tentent surtout de produire des informations environnementales. Ces structures, agissant à différentes échelles, pointent du doigts les irrégularités de réglementations contournées.

      Des pistes futures
      Un des enjeux de la régulation de l’agriculture semble s’orienter vers le numérique et la télédétection, mais les outils de vérification restent peu nombreux et peu appliqués. Il serait intéressant de pousser les chercheurs à travailler sur cette thématique. Un durcissement des réglementations brésiliennes et européennes permettrait également de protéger les ressources de bois et d’eau. Finalement, la responsabilité du consommateur entre aussi en jeu par le biais d’une responsabilisation et d’une sensibilisation à ce qui compose les produits consommés.

       

       

      Esmée Parada, Sarah Traoré, Laura Delaunay

      Compte rendu du Café Géo du 15/11/2023

    • sur Accrocher le regard

      Publié: 28 December 2023, 12:01pm CET par Isabelle Coulomb

      Qu’est-ce qui retient notre attention ? Dans le flot d’informations dans lequel nous baignons en permanence, il arrive que quelque chose accroche notre regard. C’est le eye catching content, le graal que recherche toute personne souhaitant communiquer. 

      Je reçois chaque jour des dizaines de courriels, que je ne peux pas tous lire. Dans ce flot, un titre a capté mon attention, il y a quelques jours : walking or cycling 30 minutes per day. Dans mon filtre personnel, les mots-clés walk ou marche sont très réactifs. Cela m’a conduite à cette image :

      Une carte statistique qui parle de marche, cela ne pouvait pas m’échapper ! Cette image, indéniablement accrocheuse, m’a sauté aux yeux, avec ses couleurs très brillantes, jaune radieux, vert éclatant, rouge lumineux.

      Le message de cette carte est loin d’être aussi brillant que ses couleurs ! D’ailleurs, le commentaire qui accompagne la carte souligne : “si le pourcentage est très variable d’un pays à l’autre, dans aucun pays une majorité de personnes ne se déplace à pied ou à vélo au moins une demi-heure par jour”. Pour l’ensemble des 27 pays pris en compte, moins de 2 personnes sur 10 atteignent cette durée ! Et pendant ce temps-là, les maladies chroniques de tout type prolifèrent…

      J’aurais imaginé trouver un autre contraste entre les pays du nord et du sud, ces derniers bénéficiant d’un climat plus clément. Les aléas de la météo ne sont apparemment pas un frein pour les piétons et les cyclistes. Les pays avec les pourcentages les moins bas sont aussi les pays de faible superficie.

      Cela a éveillé ma curiosité : j’ai eu envie de creuser le sujet, d’abord pour trouver une représentation cartographique moins agressive pour mes yeux, ensuite pour remonter à la source des données.

      À la source des données

      La source des données, c’est évidemment Eurostat. Sa base de données contient des centaines d’indicateurs, rigoureusement classés dans une arborescence détaillée. Celui que je cherche se trouve logiquement dans Santé > Déterminants de santé > Activité physique.

      L’explorateur de données d’Eurostat, Data Browser pour les intimes, permet de visualiser ces données sous plusieurs formes. La première est un tableau statistique de 27 lignes : une par pays, une de moins depuis que le Royaume-Uni vogue de son côté.Sa base

      Le tableau comprend plus de colonnes que j’imaginais, puisque l’indicateur en question se décline selon 3 critères : sexe, âge et niveau de formation. Cela valait la peine de creuser le sujet ! L’explorateur de données offre aussi des possibilités de datavisualisations : diagrammes et cartes. Pas de courbes d’évolution possibles ici, car l’indicateur n’est disponible que pour l’année 2019. Voici la carte que j’obtiens pour l’indicateur global Marcher et faire du vélo au moins 30 minutes par jour :

      La palette de couleurs est nettement moins agressive que pour la première : je préfère. L’adage dit “des gouts et des couleurs, on ne discute pas.” Il convient toutefois de trouver un équilibre : de la couleur oui, mais pas trop !

      La carte est dépouillée de la surcharge des chiffres : plus reposant et plus lisible. Les valeurs se retrouvent indiquées au survol de chaque pays : une ébauche d’interactivité très utile. L’image est également allégée du palmarès illustré avec les drapeaux des pays cités : une surcharge visuelle qui détournait de l’essentiel.

      La légende est curieusement positionnée, avec toujours un découpage en 6 classes, mais selon une discrétisation moins adaptée : elle ne met pas en évidence l’écart entre les Pays Bas (44 %) et les pays suivants (autour de 20 %). Dans cet export au format png, la carte ne comporte pas de titre, ni de rappel du nom de l’indicateur (ce dernier est présent en dessous de la carte dans l’export au format pdf).

      Plus actifs (ou moins inactifs) :
      les hommes ou les femmes ?

      Maintenant que j’ai découvert que l’indicateur auquel je m’intéresse se décline selon d’autres critères, je suis curieuse de voir quelles informations supplémentaires cela apporte. Par exemple, existe-t-il des différences notables entre les hommes et les femmes ?

      L’explorateur de données d’Eurostat me permet d’obtenir une carte pour chaque colonne du tableau de données, en particulier, une pour les hommes et une pour les femmes. Sauf que, pour chaque carte, la discrétisation est recalculée automatiquement et elle est chaque fois différente. Les cartes ne sont donc pas comparables entre elles.

      Il y a quelques années, j’aurais tout naturellement utilisé une application fonctionnant avec Géoclip pour créer les cartes de mon choix. Aujourd’hui, je m’en vais explorer d’autres outils de cartographie thématique en ligne. Voyons par exemple ce qu’il est possible de construire avec Khartis, l’outil de création de cartes thématiques proposé par l’Atelier cartographique de Sciences Po.

      Dans le Data Browser d’Eurostat, j’exporte très simplement la table de données dont j’ai besoin. Après un petit détour par un tableur, j’importe cette table dans Khartis, d’un rapide copier-coller. La Tchéquie se convertit aisément en République tchèque pour établir la jointure avec les 27 pays du fond de carte.

      Reste le paramétrage de la visualisation qui demande plus de soin. Je choisis le même découpage en tranches de valeurs pour les 2 cartes hommes et femmes, afin d’obtenir deux représentations cartographiques comparables.

      Pour finir, l’export est possible dans plusieurs formats : png ou svg. Le format svg est très pratique, car plus facilement modifiable pour une personnalisation plus poussée. 

      Le résultat obtenu en png convient déjà très bien. Khartis propose un joli choix de palettes de couleurs pour les dégradés : bien contrastées, sans être trop agressives. 

      Il y a beaucoup d’éléments personnalisables : titre, position de la légende, dimensions, couleur des éléments d’habillage, ajout d’étiquettes…

      Pour finir, il est possible de sauvegarder le projet, pour le conserver ou le transmettre à une autre  personne. Je n’ai pas testé cette possibilité, mais c’est une bonne idée.

      Voilà les 2 cartes que j’obtiens, avec les femmes à gauche et les hommes à droite :

      Les pays les plus foncés et les plus clairs restent à peu près les mêmes. Les hommes sont (un peu) plus actifs que les femmes. Apparaissent toutefois quelques différences selon les pays. Cependant, les cartes thématiques ne sont pas les mieux à même de les faire ressortir. 

      Je fais donc appel à mon conseiller en datavisualisation préféré. Il me suggère un outil dont il est fan : Datawrapper. L’objectif annoncé dès la page d’accueil : No code or design skills required. Là encore, un copier-coller de la table de données, quelques réglages pour choisir les paramètres, dans un cadre bien guidé. Et hop, un graphique en barres horizontales, qui montre mieux les différences : 

      Ce graphique met en évidence que les pays où les femmes sont proportionnellement les plus nombreuses à se déplacer à pied ou à vélo sont aussi les pays où les femmes devancent les hommes dans cette pratique. Bravo et merci à ces 3 pays, Pays-Bas, Danemark, Finlande. Je n’ai jamais eu l’occasion d’y voyager. Je sais cependant qu’ils sont connus pour disposer d’aménagements confortables, qui encouragent et facilitent les modes actifs de déplacement. 

      Ce n’est pas une découverte, la cartographie thématique est un moyen puissant de “faire parler les données”. Pourtant, un graphique tout simple permet parfois une lecture plus directe et efficace. C’est ce qui ressort régulièrement des exemples que choisit Éric dans ses interventions, en formation, en conférence ou en accompagnement. Certes, il existe des outils pour créer facilement des cartes et des graphiques. Pour éviter de tomber dans le piège de produire des images aussi multicolores que des perroquets, mieux vaut connaître les fondamentaux de sémiologie graphique.

      L’article Accrocher le regard est apparu en premier sur Icem7.

    • sur Recension d'ouvrages de cartographie historique

      Publié: 23 December 2023, 11:58am CET


      Matthew Edney a recensé sur son blog "Mapping as a process" une liste d'ouvrages de cartographie historique parus durant l'année 2023. Parmi la liste, on trouve quelques ouvrages accessibles en open data.


      Ouvrages disponibles en open data :

      • Trudel, Claude. 2023. Atlas du Québec en Amérique et dans le monde : Cartes et plans géographiques et historiques du 16e siècle à nos jours,  Le monde en images, Centre collégial de développement de matériel didactique, collège de Maisonneuve.
        URL : [https:]]
        Ce livre propose trois types de documentation : un répertoire chronologique de cartes et de plans, depuis le 16e siècle jusqu’à nos jours?; plusieurs cartes et plans commentés?; une bibliographie exhaustive. Le répertoire chronologique contient une sélection de cartes et de plans relatifs au Québec. Les liens pointent vers les documents numériques originaux, dans les collections de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Archives de Montréal, Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque du Congrès, et autres.
      • Lange, Diana, and Oliver Hahn. 2023. Colours on East Asian Maps: Their Use and Materiality in China, Japan and Korea between the Mid-17th and Early 20th Century. Leiden : Brill.
        URL : [https:]]
        « Les couleurs sur les cartes de l’Asie de l'Est. Leur utilisation et leur matérialité en Chine, au Japon et en Corée entre le milieu du XVIIe et le début du XXe siècle » (voir ce billet)

      • Alexander, Isabella. 2023. Copyright and Cartography : History, Law, and the Circulation of Geographical Knowledge. London: Bloomsbury Academic.
        URL : [https:]]
        Ce livre explore les histoires étroitement liées de la cartographie et du droit d'auteur en Grande-Bretagne depuis le début de la période moderne jusqu'à la Première Guerre mondiale, en se concentrant principalement sur les XVIIIe et XIXe siècles. Adoptant une approche multidisciplinaire et faisant un usage intensif des archives, il s'agit du premier compte rendu historique détaillé de la relation entre les cartes et le droit d'auteur. À ce titre, il examine comment l’émergence et le développement du droit d’auteur ont affecté les cartographes et le commerce des cartes et comment l’application du droit d’auteur au domaine de la cartographie a affecté le développement de la doctrine du droit d’auteur. Ses explorations jettent un nouvel éclairage sur la circulation des connaissances géographiques, les différentes cultures d’auteur et de créativité, ainsi que les liens entre le droit d’auteur, la culture de l’imprimé, la technologie et la société. 
      • Jeske, Martin. 2023. Ein Imperium wird vermessen : Kartographie, Kulturtransfer und Raumerschließung im Zarenreich (1797–1919). Berlin : De Gruyter.
        URL : [https:]]
        Ce livre porte sur la cartographie et les mesures de la Russie tsariste au XIXe et au début du XXe siècle. Il considère l'étude topographique et cartographique du plus grand pays du monde comme un aspect de la territorialisation de la Russie et examine l'importance des transferts culturels depuis l'Europe occidentale. Les cartes interprétées ici révèlent les images fragmentaires de cet immense empire qui ont été créées au cours du processus.

      Articles annexes

      The History of Cartography : une collection monumentale consacrée à l'histoire mondiale de la cartographie

      La grille de Jefferson ou comment arpenter le territoire américain

      Derrière chaque carte, une histoire (série de billets)

      L'histoire par les cartes (série de billes) 

      Rubrique cartes et atlas historiques

    • sur Parcellaires agraires et dynamiques d'exploitation du sol dans la longue durée (projet Parcedes)

      Publié: 22 December 2023, 6:48pm CET


      Le projet PARCEDES, financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), a pour but d’étudier l’organisation et l’évolution des parcellaires agraires – ou limites de champs – de la Protohistoire à nos jours. Cette analyse se déroule sur quatre terrains différents situés entre la France (Vendée et territoire Nîmois), l’Italie (vallée de l’Ombrone – Toscane) et l’Angleterre (South Hams – Devon) et implique plusieurs institutions et centres de recherche (entre autres, Université Rennes 2, Université de Sienne, Université de Newcastle et l’INRAP).

      Ce choix reflète le souci de confronter des espaces différents et/ou similaires mais complémentaires du point de vue:

      • du contexte géographique et topographique,
      • des limites agraires existantes (fossés, earth banks, crêtes de labour…)
      • du poids historique de l’héritage romain
      • des usages économiques des terres
      • des expériences scientifiques locales

      L’ANR Parcedes, en se positionnant dans le champ des travaux de l’école française d’archéogéographie, qui évalue, sur le long terme, le rôle joué par le temps et les sociétés dans la transmission des planimétries (agraires et urbaines), poursuit trois objectifs :

      1. Faire l’histoire de la variabilité spatiale et temporelle de l’emprise humaine sur les espaces ruraux et des manières selon lesquelles les sociétés ont composé avec les spécificités et contraintes des milieux géographiques
      2. Élargir la notion de patrimoine aux structures agraires encore visibles dans les campagnes européennes
      3. Démontrer que ces parcellaires constituent un objet de recherche utile pour penser la durabilité des projets d’aménagements actuels des espaces ruraux.

      Cette approche comparée entre quatre terrains et cette synergie collective vise à identifier des scenarii généraux d’évolution des parcellaires agraires, sans pour autant écraser les diversités locales. Toutes les données collectées au cours de l’ANR, sur tous les terrains de recherche, sont traitées et modélisées, puis mises à disposition sur un webSIG en open access hébergé par la TGIR Huma-Num via le consortium « Projets Time Machine ».

      Version inédite des 3 webSIG de l’ANR PARCEDES :


      Articles connexes

      La parcelle dans tous ses états (ouvrage en open access)
      Cartographier le parcellaire des campagnes européennes d’Ancien Régime

      L'histoire par les cartes : le mouvement des enclosures en Grande Bretagne aux XVIIIe et XIXe siècles
      L'histoire par les cartes : la carte archéologique de Paris
      Atlas archéologique de la France
      Des images Lidar pour rendre visible l'invisible. L'exemple de l'archéologie
      Humanités numériques spatialisées (revue Humanités numériques, n°3, 2021)

      WorldCover (ESA), une couverture terrestre de l'occupation du sol à 10m de résolution
      Dynamic World : vers des données d'occupation du sol quasi en temps réel ?

      Cartes et données sur l'occupation des sols en France (à télécharger sur le site Theia)

      OneSoil, la carte interactive des parcelles et des cultures en Europe et aux Etats-Unis


    • sur Derrière chaque carte, une histoire : Colombia Prima ou la carte détaillée de l'Amérique du Sud en 1807

      Publié: 22 December 2023, 3:54pm CET


      Colombia Prima est le nom d'une carte détaillée de l'Amérique du Sud avec ses différentes possessions coloniales, telles qu'elles pouvaient exister sur le continent au début du XIXe siècle. La carte monumentale mesure 110 cm par 79 cm. Elle a été dessinée par le cartographe anglais Louis Stanislas D'Arcy Delarochette et publiée en 1807 par William Faden, géographe de Sa Majesté et de Son Altesse Royale le Prince de Galles. Elle se compose de 8 feuilles détaillées avec différentes échelles. Il s'agit d'une compilation réalisée à partir de nombreuses sources qui sont toutes énumérées en dessous du titre. Le but est de « délimiter l'étendue de notre connaissance de ce continent à partir des dernières enquêtes espagnoles et portugaises ». 

      Colombia Prima (1807) ou l'Amérique du Sud par William Faden (source : David Rumsey Map Collection)

      La carte constitue une référence et a été utilisée pour régler de nombreux conflits frontaliers à travers le continent. Les limites des dominations espagnoles, portugaises, françaises et hollandaises y sont nettement reconnaissables par des couleurs vives réhaussant les frontières. Par sa taille et sa précision, la carte de William Faden ne peut être comparée qu'à la carte d'Aaron Arrowsmith publiée à la même époque. Si on la compare à la carte de Cruz Cano y Olmedilla de 1775, rééditée par Faden en 1790, elle est beaucoup plus précise et montre le découpage colonial de l'Amérique du sud juste avant la vague des indépendances des années 1810-1820. La carte de Faden de 1807 a fait l'objet de plusieurs rééditions, dont celle de James Wyld dans les années 1860 montrant l'apparition de nouveaux états ainsi que le développement du chemin de fer dans certaines zones.

      Colombia Prima ou carte de l'Amérique du Sud vers 1860 (source : David Rumsey Map Collection)


      La carte de 1807 Colombia Prima fait référence à une Colombie qui contient encore toute l'Amérique du Sud. Si on la compare à la Mapa de Colombia publiée quelques années plus tard en 1827 par José Manuel Restrepo, on s'aperçoit que la Colombie ne couvre plus tout le continent, mais seulement les territoires que nous reconnaissons aujourd'hui comme appartenant à la Colombie, au Panama, à l'Équateur, au Venezuela et à certaines parties de la Guyane et du Brésil. Comme le montre Lina Del Castillo, « Restrepo a besoin d'une carte de la Colombie scientifiquement informée qui permettrait de faire reconnaître son indépendance vis-à-vis de toutes les puissances étrangères » (Castillo, 2018).

      Mapa de Colombia (1827) par José Manuel Restrepo (source : David Rumsey Map Collection)

      Carmen Marques Rodrigues a écrit un article sur les conditions de production de la carte de 1807 dans un numéro spécial de la revue História e Cultura consacré à La culture imprimée à l’époque moderne : débats et possibilités (XVe-XVIIIe) publié en portugais en 2023. Dans cet article (disponible en open data), elle s'intéresse aux relations entre la culture imprimée et les intérêts diplomatiques portugais à la fin du XVIIIe siècle. Elle met notamment en évidence le rôle de Luís Pinto de Sousa Coutinho (1735-1804), vicomte de Balsemão, pour fournir plusieurs cartes du Brésil au géographe anglais William Faden (1749-1836), dans le but d'influencer la conception d'une Amérique portugaise sur la carte Colombia Prima publiée en 1807. Selon Carmen Rodrigues, la carte Colombia Prima représente la synthèse des connaissances géographiques portugaises sur la Brésil, accumulées tout au long du XVIIIe siècle. En participant à cette construction, le Vicomte de Balsemão avait l'intention d'utiliser l'autorité de la carte pour montrer les limites des possessions portugaises en Amérique du Sud, consolidant ainsi auprès d'une opinion publique éclairée les limites continentales du Brésil face à une Amérique espagnole sur le point de s'effondrer.  

      Selon l'historienne Lina del Castillo, Francisco Miranda a eu une grande influence sur ce travail et « l’indice le plus évident qui suggère que Colombia Prima pourrait refléter la vision de Miranda, c’est précisément le titre » (Castillo, 2012, p. 385). En renommant l'Amérique du Sud Colombie, Faden corroborait les aspirations indépendantistes de Miranda, qui utilisait cette nouvelle appelation pour faire référence à un continent indépendant (Castillo, 2012, p. 385 et 2017, p. 119). Quelques années plus tôt, en 1783, Miranda entreprit un voyage à travers les États-Unis et c'est lors de cette tournée qu'il découvrit le nom par lequel les Républicains nord-américains désignaient autrefois l’Amérique : Columbia. « L'argument selon lequel le Nouveau Monde devrait porter une partie du nom de Christophe Colomb à la place d'Américo Vespucci circulait déjà dans les Amériques et en Europe depuis le début du XVIe siècle » (Castillo, 2017, p. 116). En effet, comme le montre l'historienne Andréa Doré, les cartes avec leurs « éléments rhétoriques de persuasion, de propagande ou de spéculation » sont capables de nommer et de renommer la géographie selon les circonstances (Doré, 2020, p. 213). C'est ainsi qu'au XVIe siècle, certains cartographes ont décidé d'appeler la partie sud du nouveau continent découvert par Colomb Peruana, s'inspirant des immenses richesses du Pérou. En élargissant le nom à l'ensemble continent, ces hommes voulaient que les richesses péruviennes soient également présentes sur l'ensemble de ces terres. 

      Comme le montre Carmen Rodrigues, « la cartographie, souvent considérée comme un miroir objectif de la réalité géographique est, en fait, profondément influencée par une myriade d’intérêts sociaux, politiques et économiques. Les représentations visuelles des territoires et des frontières dans les cartes ne sont pas simplement une transcription impartiale des contours géographiques, mais reflètent activement les intentions et les perspectives des individus qui ont façonné ces représentations. Au sein de la société des Lumières, hommes politiques et individus liés à l’État, la circulation de l'information et des objets cartographiques devient une composante stratégique. Le réseau de relations entre géographes, diplomates, dirigeants et collectionneurs influence la production et la diffusion de cartes, qui ne se sont pas produites en vase clos. Grâce à ces connexions, les cartes n'étaient pas seulement des représentations neutres de données géographiques, mais reflétaient des programmes plus larges » (Rodrigues, 2023, p. 118-119).

      Sources : 

      Rodrigues, Carmen (2023). Colombia Prima : As Relações entre Cultura Impressa e os Interesses Diplomáticos Portugueses no Final do Século XVIII [Colombia prima. Les relations entre la culture imprimée et les intérêts  diplomatiques portugais à la fin du XVIIIe siècle], História e Cultura. Dossiê Temático. Cultura impressa no período moderno : debates e possibilidades (XV-XVIII), v.12, n.2, dez/2023. URL :  [https:]]

      Del Castillo, Lina. (2012). La cartografía impresa en la creación de la opinión pública en la época de la independencia [Le rôle de la cartographie imprimée dans la création de l'opinion publique pendant la période de l'indépendance]. Dans Francisco A. Ortega Marínez et Alexander Chaparro Silva (éd.), Disfraz y pluma de todos: Opinión pública y cultura política, siglos XVIII y XIX (377-420). Bogotá : Universidad Nacional de Colombia et Helsinki URL : [https:]]


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    • sur Cartographier pour le web avec bertin

      Publié: 22 December 2023, 8:42am CET par Nicolas Lambert

      Camarades cartographes, vous connaissez bien évidemment le célèbre Jacques Bertin. Mais connaissez-vous la bibliothèque bertin ?

      bertin.js est une bibliothèque JavaScript consacrée à la réalisation de cartes statistiques vectorielles dont le développement a débuté en novembre 2021. La bibliothèque a été nommée ainsi en hommage au géographe français Jacques Bertin (1918 – 2010) et ses travaux fondateurs sur la sémiologique graphique dont l’influence est aujourd’hui encore majeure dans le domaine de la visualisation de données. Néanmoins, la bibliothèque ne propose en aucun cas un décalque de la sémiologie graphique de Jacques Bertin, mais plutôt des méthodes de représentations classiques telles que présentées dans les différents manuels de cartographie. La bibliothèque repose sur de nombreuses dépendances open source, principalement liées à l’écosystème D3.js mais également sur des bibliothèques spatiales telles que jsts, turf et proj4js. Elle est publiée sous licence MIT. Un “wrapper” de cette bibliothèque est également disponible dans les langages R et Python.

      Explications ?

       

      Nicolas Lambert

      Ingénieur de recherche CNRS en sciences de l'information géographique. Membre de l'UMS RIATE et du réseau MIGREUROP / CNRS research engineer in geographical information sciences. Member of UMS RIATE and the MIGREUROP network.

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    • sur Observable pour les géographes

      Publié: 22 December 2023, 8:17am CET par Nicolas Lambert

      Camarades cartographes, vous la savez tous, de nombreux langages informatiques ont le vent en poupe pour faire de l’analyse de données et de la cartographie. On parle beaucoup de Python et de R. Il y a pourtant un autre candidat sérieux : le JavaScript. Certes, ce langage vieux de 30 ans n’a pas été inventé du tout dans ce but. Mais il dispose de nombreux avantages. Ce langage est mature. C’est le langage du web. Il est installé par défaut sur tous les ordinateurs et même sur les smartphones. La communauté est très grande. De nombreuses librairies permettent déjà de manipuler et représenter les données. Les performances sont aujourd’hui très bonnes.

      C’est de ce constat qu’est né ObservableHQ, une plateforme collaborative 100 % en ligne qui propose pour concevoir, partager et diffuser des visualisations de données interactives et exploratoires. Objectif : fédérer et faire collaborer une communauté autour de l’analyse et la visualisation de données. Dans ce tuto Mate-SHS, je présente en détail cette plateforme, les principes innovants sur lesquels elle repose et explique en quoi elle facilite l’exploration interactive de données. J’insiste particulièrement sur l’écosystème spatial de cet environnement prometteur en présentant plusieurs bibliothèques développée par le RIATE, dédiées à la manipulation et la représentation de données géographiques : bertin, geotoolbox et geoviz.

      Bon film !

      Nicolas Lambert

      Ingénieur de recherche CNRS en sciences de l'information géographique. Membre de l'UMS RIATE et du réseau MIGREUROP / CNRS research engineer in geographical information sciences. Member of UMS RIATE and the MIGREUROP network.

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    • sur THEIA : a tricky transition period caused production delays, but the production resumes

      Publié: 21 December 2023, 4:52pm CET par Olivier Hagolle

      =>

      Update the 8th of January, 2024 : A new change in the interface from the Copernicus Dataspace on January the 2nd, implemented without prior notice, has caused a new interruption of our downloads, and the real time processing at THEIA, at a moment when no one was available to change things on the our side :(. The teams are now working to resume downloads.

      As the screenshot above shows, the end of 2023 was a tricky time for THEIA’s MUSCATE production center.

      • ESA changed its main data distribution center, and the transition brought us a few surprises. The colleagues at CNES who download data to PEPS had to make last-minute changes. This caused a few weeks’ delay (from November 10 to December 4).
      • The data made available on this server don’t stay there for long, and some were deleted before they could be retrieved from CNES. We therefore had to retrieve the missing data from other servers. This activity is still on going, and we have still have a few missing data.
      • At the same time, our production system had to be migrated to the new CNES HPC system, and with these kinds of migrations, there are always surprises. Everything had been validated on the test datasets, but the transition to mass production triggered major delays. This problem was solved in a few days, and production can now restart just before the vacations. We’ll soon be able to remove the red message from our site !

      A big thank you at the technical teams at CNES (including contractors) who maintain the PEPS and THEIA centers, et qui gave us the very nice Christmas present. I would like to thank especially Marie France Larif, for all her work and dedication, as she is leaving the center for a new position within CNES !

      The outlook is bright for next year, with the commissioning of our new Hesperides production center, and the new data access center GeoDataHub (the name is going to change). Their official openings are scheduled for mid-2024, but test versions already exist. And by the way, MAJA now only requires 6 minutes to detect clouds and correct atmospheric effects on a Sentinel-2 product! We should therefore be able to significantly increase the areas we cover.

       

    • sur Le brouillage et l'usurpation de signaux GPS participent de nouvelles formes de guerre électronique

      Publié: 21 December 2023, 12:33pm CET


      Les cas d'usurpation de signaux GPS sont de plus en plus fréquents aujourd'hui. Le « GPS spoofing », comme on le nomme, est pratiqué par la Russie, l'Ukraine, la Syrie, Israël et beaucoup d'autres pays dans le monde. Il concerne les zones de conflits ou de tensions comme en témoigne la cartographie réalisée sur la plateforme Felt.

      Cartographie des secteurs d'usurpation d'identité GPS entre le 11 et le 17 décembre 2023 (source : Felt)


      Pratiquée à grande échelle, la manipulation des services de navigation par satellite participe de la guerre électronique (« La nouvelle guerre GPS et ses risques », Le Monde, 2019). Pour Matt Berg, l'usurpation d'identité GPS épaissit le brouillard de la guerre. Israël utilise cette technique à son avantage. Mais d'autres pays comme l'Iran, la Russie ou les Etats-Unis ont aussi recours au brouillage électronique. Cette technique de masquage des signaux satellites semble être un moyen astucieux d’épaissir le brouillard de la guerre face à des capacités de reconnaissance toujours croissantes. Mais les experts craignent qu’elle ne propage ce brouillard au-delà du champ de bataille, créant ainsi un avenir de guerre encore plus chaotique et imprévisible. Il existe un risque que le brouillage ou l'usurpation de données GPS perturbe le transport aérien civil. Et il est également possible qu’un missile mal orienté, initialement dirigé vers une cible militaire, puisse toucher par erreur des civils, ce qui est déjà arrivé. (« GPS spoofing thickens the fog of war », Politico, 2023).

      Tout en reconnaissant l'importance du brouillage et de l’usurpation d’identité GPS, Robi Sen porte un regard critique sur l’article de Matt Berg. Les menaces seraient à relativiser. Les systèmes GPS présents sur les plateformes disposent désormais de mesures de sécurité anti-brouillage et anti-usurpation d'identité. D'autres systèmes de guidage que le GPS sont utilisés par les belligérants, notamment pour les missiles. Le brouillage et l’usurpation d’identité pratiqués à grande échelle par Israël ne sont pas quelque chose de nouveau. D’autres acteurs font de même, notamment la Russie. Ce serait bien d'avoir des articles sur l’évolution du paysage de la guerre électronique, en termes d'opportunités et de défis. À mesure que ces technologies progressent, il est impératif d’évaluer continuellement leurs implications éthiques et pratiques. L’utilisation de techniques d’usurpation d’identité GPS, avec leur divers scénarios, soulève des questions quant à leur impact plus large sur les infrastructures civiles et sur les lois internationales. Cela devrait être également discuté (« Quick Critical Look at "GPS Spoofing Thickens the Fog of War" by Matt Berg », Linkedin, 2023).

      Tegg Westbrook, de son côté, montre à quel point le système de positionnement global et le brouillage militaire débouchent sur de nouvelles géographies de la guerre électronique  (« The Global Positioning System and Military Jamming: The geographies of electronic warfareJournal of Strategic Security », 2019). Il souligne le fait que la grande majorité des récepteurs GPS sont très sensibles au détournement en raison de la faiblesse des signaux reçus à partir de satellites en orbite lointaine. Cette faiblesse du signal crée de nombreuses opportunités pour les criminels ainsi que pour les acteurs étatiques en quête de gains stratégiques. Les brouilleurs varient eux-mêmes en puissance et en capacité. Ces facteurs sont déterminants quant aux intentions des utilisateurs finaux. Le brouillage est utilisé pour bloquer le suivi GPS. Il peut également être utilisé à des fins de harcèlement ou pour désorienter les informations de navigation et de positionnement. Le brouillage est souvent aveugle et provoque des perturbations intentionnelles et non intentionnelles qui transcendent les frontières. Pour Tegg Westbrook, l'un des problèmes les plus préoccupants liés au brouillage ou à l'usurpation concerne les cas où les utilisateurs ne sont pas conscients qu'ils reçoivent des données de navigation et de localisation inexactes. Les systèmes militaires basés sur le GPS, tels que les drones utilisés dans les zones de conflit ou à proximité des frontières d’États « ennemis », sont vulnérables au brouillage et à l’usurpation d’identité. Il n’est pas réaliste pour les gestionnaires d’infrastructures critiques, en particulier dans les zones urbaines denses, de créer des distances de sécurité physiques suffisantes pour atténuer les interférences.

      Le site GPSJam fournit une cartographie  des zones probables d'interférences GPS. Cette cartographie est dressée à partir des rapports fournis par le système de navigation des avions (données ADS-B Exchange). Ces données représentées sous forme d'hexagones ont une précision relative. Les compagnies aériennes évitent par exemple de survoler l'Ukraine, ce qui explique la quasi absence de données pour certaines zones géographiques. Il est remarquable que des pays entiers voire des grandes zones continentales échappent à la détection des signaux brouillés dans GPS Jam. Ce que l'on peut considérer comme des "déserts de données". Mises à jour quotidiennement, ces données permettent néanmoins d'appréhender les évolutions et les permanences dans les zones de conflictualité.

      Cartographie des zones d'interférence GPS sur le site GPSJam



      Concernant le trafic maritime, des cas de détournement ou de coupure de signaux AIS sont visibles à travers des sites comme Marine Traffic ou Vessel Finder qui permettent de suivre la localisation des navires en temps réel. Mais certaines données, notamment l'historique des données AIS, sont accessibles uniquement en version payante. La désactivation des signaux AIS peut masquer le comportement des navires en mer, en particulier pour des navires pratiquant la pêche illégale (voir cette étude Hot spots of unseen fishing vessels). Au Venezuela ou en Ukraine, il n'est pas rare que des navires utilisent des fausses coordonnées GPS et détournent le système AIS pour contourner le droit et les sanctions internationales (New York Times, 2022).


      Géolocalisation des navires et suivi du trafic maritime en temps réel sur le site Vessel Finder


      Qu'il soit volontaire ou non, le brouillage (GPS jamming) est à distinguer de l'usurpation d'identité (GPS spoofing) qui peut aller jusqu'à des formes très sophistiquées, telles la transmission de faux signaux ou la diffusion d'informations malveillantes (« Jamming and Spoofing of Global Navigation Satellite Systems », Intertanko, 2019).

      Lien ajouté le 26 février 2024

      La Russie intensifie sa guerre électronique contre la Norvège. La région du Svalbard et + largement la zone frontière avec la Finlande et les Etats baltes sont particulièrement exposés
      Voir le suivi en temps réel du brouillage électronique sur GPS Jam [https:]] pic.twitter.com/8HIn8sCjP6

      — Sylvain Genevois (@mirbole01) February 26, 2024

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      Le site Marine Traffic permet désormais de visualiser la densité des routes maritimes

      Shipmap, une visualisation dynamique du trafic maritime à l'échelle mondiale

      Global Fishing Watch, un site pour visualiser l'activité des navires de pêche à l'échelle mondiale
      Entre maritimisation des échanges et mondialisation de l'information : de quoi l’incident de l'Ever-Given est-il le nom ?

      Comment les applications de navigation GPS (du type Google Maps ou Waze) ruinent votre quartier

      Enquête sur la mention « compatible GPS » indiquée sur les cartes IGN des années 1980-90

      Traces GPS et suivi des déplacements d'animaux


    • sur THEIA : une délicate période de transition : retards de production bientôt résolus

      Publié: 20 December 2023, 6:56pm CET par Olivier Hagolle

      =>

      Mise à jour du 8 janvier 2024 : un nouveau changement sans préavis dans le format des métadonnées distribuées par le DataSpace Copernicus, effectué aux alentours de la Noël, a causé un plantage des téléchargements à une période où il n’y avait personne pour maintenir les logiciels de téléchargements ? . Les équipes techniques essaient de suivre et de faire les modifications nécessaires pour reprendre les traitements.

      Comme le montre la copie d’écran ci-dessus, la fin de 2023 fut une période délicate pour le centre production MUSCATE de THEIA .

      • l’ESA a changé son principal centre de distribution de données, et la transition nous a réservé quelques surprises, et les collègues du CNES qui rapatrient les données sur PEPS ont du faire des changements de dernière minute qui ont occasionné quelques semaines de retard (du 10 Novembre au 4 décembre)
      • les données mises à disposition sur ce serveur n’y restent pas longtemps, certaines ont été supprimées avant d’avoir pu être récupérées au CNES. Il a donc fallu aller récupérer les données manquantes sur d’autres serveurs.
      • dans le même temps, notre système de production a du migrer sur le nouveau système HPC du CNES, et là aussi, il y a toujours des surprises. Tout avait été validé sur les jeux de données de tests, mais le passage à la production de masse a déclenché de grosses lenteurs. Ce problème a été résolu en quelques jours, et la production peut donc redémarrer juste avant les congés. Nous allons donc bientôt pouvoir supprimer le message en rouge sur notre site.

      Un gros merci aux équipes techniques du CNES qui exploitent les serveurs PEPS et THEIA, et qui nous offrent ce beau cadeau de Noël, et notamment, pour l’ensemble de son œuvre et son professionnalisme hors pair, un grand merci à Marie-France Larif qui nous quitte pour un autre poste !

      Les perspectives sont belles pour l’année prochaine, avec la mise en service de notre nouveau centre de production Hesperides, et du nouveau centre d’accès aux données, le GeoDataHub (le nom va changer). Leurs ouvertures officielles sont prévues pour mi 2024, mais des versions de test existent déjà, et MAJA n’y demande plus que 6 minutes pour détecter les nuages et corriger les effets atmosphériques sur un produit Sentinel-2! ). Nous devrions donc pouvoir largement augmenter les zones traitées.

    • sur Oslandia rejoint la Fédération des Pros d’OSM

      Publié: 20 December 2023, 7:00am CET par Caroline Chanlon

      En octobre 2023, Oslandia est devenu membre de la Fédération des Pros d’OSM, la fédération représentant les intérêts des entreprises françaises proposant des prestations liées à OpenStreetMap. [https://fposm.fr/\]

      Utilisateurs des données OSM depuis 15 ans, les équipes d’Oslandia disposent aujourd’hui d’une connaissance approfondie des données et du modèle et contribuent sur certains outils de la stack (e.g. PostGIS)

      Des clients d’Oslandia, comme Orange par exemple, déploient aujourd’hui des projets avec les fonds de carte OSM.

      « Grâce au support de nos clients, nous allons continuer à investir dans les outils OSM, notamment pour la maintenance et l’évolution » Vincent Picavet, Co-Founder et CEO Oslandia

    • sur 3 explorations bluffantes avec DuckDB – Croiser les requêtes spatiales (3/3)

      Publié: 19 December 2023, 10:33am CET par Éric Mauvière

      Nous sommes entourés de données géolocalisées. La séparation données statistiques / données spatiales est bien souvent arbitraire. Mais si elle perdure, c’est parce que les outils SIG (systèmes d’information géographiques) sont lourds à installer et complexes à utiliser.

      Avec son extension spatiale, DuckDB met enfin l’analyse géographique à la portée de tou·tes.

      Comme dans les deux articles précédents, je vais présenter deux cas concrets, l’un avec les données GTFS de transports en commun dans la métropole toulousaine, l’autre avec la base adresse nationale (BAN).

      A - Le standard GTFS pour analyser les transports en commun à Toulouse

      Le format GTFS (General Transit Feed Specification) permet aux gestionnaires de transports en commun de mettre à disposition, quotidiennement, des informations détaillées sur leur réseau, les horaires et emplacement des arrêts, le niveau de service. Mis au point par Google en 2005, il s’est imposé comme un standard mondial.

      Comme bien d’autres en France et dans le monde, le gestionnaire toulousain Tisséo propose en téléchargement un fichier rafraichi tous les jours, dont la carte ci-dessous restitue l’information purement géographique. Si vous zoomez sur ce composant cliquable (l’IGN propose un fort bel outil web intitulé « Ma carte »), vous verrez apparaître aussi les points d’arrêt.

      J’ai construit cette carte interactive avec DuckDB à partir de ce fichier GTFS, gtfs_v2.zip (11 Mo), qui contient sous forme d’archive zippée une collection de fichiers CSV, disposés et structurés selon la norme :

      La table routes décrit en bon français des « lignes », de façon purement textuelle, par type  (0 = tramway, 1 = métro, 3 = bus, 6 = téléphérique…) : un identifiant unique route_id se distingue du code usuel de la ligne (ex. : ligne A du métro).

      La table trips décrit des navettes. Par exemple le bus de la ligne 26 partant à 6 h 03, lundi 18 décembre 2023, de Montberon, terminus Borderouge correspond à une navette identifiée par un trip_id. Une navette a donc une caractéristique symbolique (la ligne), temporelle – horaire et jours – (elle ne circule pas forcément tous les jours à la même fréquence) et spatiale. Elle emprunte un itinéraire physique particulier définit par un shape_id.

      La table shapes décrit ces itinéraires et c’est la première table véritablement géographique.

      Chaque itinéraire se définit par une suite ordonnée de points GPS (latitude, longitude). Ces points ne correspondent pas aux arrêts, ils sont plus nombreux et définissent les changements d’orientation de l’itinéraire, afin de pouvoir le tracer précisément. Pour une même ligne, il y a généralement un itinéraire aller et un itinéraire retour, qui peuvent légèrement différer.

      Les arrêts sont décrits dans la table stops, qui constitue la seconde table géographique. On distingue (via location_type) une zone d’arrêt globale des deux points physiques de l’arrêt, selon la direction désirée.

      La table stop_times décrit chaque navette (identifiée par un trip_id) comme une suite d’arrêts situés spatialement et temporellement (stop_id, arrival_time…)

      Voilà l’essentiel à retenir de ce riche format. Le site transit.land agrège les principales sources GTFS mondiales et en propose une élégante visualisation.

      En avant avec DuckDB spatial

      Voyons comment la produire nous-même, avec DuckDB. Je l’utilise ici au sein de l’utilitaire gratuit DBeaver. DBeaver permet de gérer facilement ses scripts SQL (édition, sauvegarde) et de consulter de façon interactive (y compris cartographique) le résultat des requêtes adressées à DuckDB.

      Note : depuis le 18 décembre 2023, l’extension SPATIAL de DuckDB est aussi utilisable dans le navigateur.

      Chargeons d’abord les tables. Les fichiers du standard GTFS sont généralement mis à disposition sous forme d’une archive .zip. DuckDB ne sait pas lire directement un zip. Deux méthodes sont possibles :

      1 – Télécharger et dézipper manuellement sur un disque local, puis, pour chaque table, écrire une instruction comme :

      				
      					CREATE OR REPLACE TABLE routes AS 
      FROM read_csv_auto('c:\...\routes.txt') ; 
      				
      			

      2 – Utiliser un proxy capable de charger le zip et d’extraire à la volée la table désirée, le tout via une simple requête [https.] C’est possible avec un petit script PHP prenant comme paramètre le nom de la table à extraire et l’URL du zip :

      https://icem7.fr/data/proxy_unzip.php?file=routes
      &url=https://data.toulouse-metropole.fr/api/explore/v2.1/catalog/datasets/
      tisseo-gtfs/files/fc1dda89077cf37e4f7521760e0ef4e9

      Utilisons une MACRO pour simplifier les écritures :

      				
      					CREATE OR REPLACE MACRO get_gtfs(f, cache) AS 'https://icem7.fr/data/proxy_unzip.php?clear_cache=' || cache || '&file=' || f 
      || '&url=https://data.toulouse-metropole.fr/api/explore/v2.1/catalog/datasets/
      tisseo-gtfs/file/fc1dda89077cf37e4f7521760e0ef4e9';
      
      				
      			

      Le paramètre cache va indiquer au script de conserver le zip sur le serveur proxy le temps d’extraire successivement toutes les tables, ce qui prend 10 secondes.

      				
      					-- 1er appel forçant le téléchargement du dernier gtfs
      CREATE OR REPLACE TABLE routes AS FROM read_csv_auto(get_gtfs('routes', 1)) ; 
      CREATE OR REPLACE TABLE trips  AS FROM read_csv_auto(get_gtfs('trips', 0)) ;
      CREATE OR REPLACE TABLE shapes AS FROM read_csv_auto(get_gtfs('shapes', 0)) ;
      CREATE OR REPLACE TABLE stops  AS FROM read_csv_auto(get_gtfs('stops', 0)) ;
      CREATE OR REPLACE TABLE stop_times AS FROM read_csv_auto(get_gtfs('stop_times', 0)) ;
      CREATE OR REPLACE TABLE calendar_dates AS FROM 
      read_csv_auto(get_gtfs('calendar_dates', FALSE), 
                    types=[VARCHAR,DATE,INT], dateformat='%Y%m%d') ;
      
      				
      			

      Pour cartographier le réseau, revenons donc à la table shapes :

      Pour la traduire dans un format spatial, les x lignes décrivant un shape_id particulier doivent être condensées en une seule entité spatiale de type LINESTRING. Autrement dit, la table shapes doit être regroupée par shape_id, chaque enregistrement décrira in fine un itinéraire complet.

      Commençons par créer des entités géométriques de type POINT. Conventionnellement, une telle colonne est dénommée geometry :

      				
      					LOAD spatial ;
      SELECT shape_id, shape_pt_sequence, 
      ST_Point(shape_pt_lon,shape_pt_lat) AS geometry
      FROM shapes ;
      				
      			

      Rajoutons une agrégation pour rassembler tous les points d’un tracé (shape_id) en une seule ligne :

      				
      					WITH shapes_pt_geo AS (
       SELECT shape_id, shape_pt_sequence, 
       ST_Point(shape_pt_lon,shape_pt_lat) AS geometry
       FROM shapes
       ORDER BY shape_id, shape_pt_sequence
      )
      SELECT shape_id, 
      ST_MakeLine(list(geometry)) AS geometry
      FROM shapes_pt_geo
      GROUP BY ALL ;
      				
      			

      Je n’ai plus que 328 enregistrements (sur les 200 000 de la table shapes).

      Et surtout, grâce à la petite manip expliquée ici, je peux visualiser chacun de ces itinéraires, directement dans DBeaver :

      Pour obtenir une table agrémentée du nom des lignes, je vais devoir procéder à deux jointures, ce sont les charmes du format relationnel GTFS :

      				
      					CREATE OR REPLACE TABLE reseau_gtfs_toulouse_met AS
      WITH shapes_pt_geo AS (
       SELECT shape_id, shape_pt_sequence, shape_dist_traveled, 
       ST_Point(shape_pt_lon,shape_pt_lat) AS geometry
       FROM shapes
       ORDER BY shape_id, shape_pt_sequence
      ),
      shapes_lines_geo AS (
       SELECT shape_id, max(shape_dist_traveled)::int AS shape_length,
       ST_MakeLine(list(geometry)) AS geometry
       FROM shapes_pt_geo
       GROUP BY ALL
      )
      SELECT r.route_id,r.route_short_name,r.route_long_name,r.route_type,
      	   s.shape_id,s.shape_length,s.geometry
      FROM shapes_lines_geo s
      LEFT JOIN (SELECT DISTINCT route_id, shape_id FROM trips) t 
      	ON s.shape_id = t.shape_id
      LEFT JOIN routes r ON r.route_id = t.route_id
      ORDER BY r.route_type, r.route_id ;
      
      				
      			

      Et voici dans cet aperçu les deux lignes de métro (A et B), sens aller et retour, deux lignes de bus :

      Il ne me reste plus qu’à exporter en GeoJSON pour l’exploiter à ma guise dans une autre application, comme le bien pratique outil web IGN Ma carte.

      				
      					COPY reseau_gtfs_toulouse_met
      TO 'C:/…/reseau_gtfs_toulouse_met.json'
      WITH (FORMAT GDAL, DRIVER 'GeoJSON');
      
      				
      			

      J’ai procédé de la même manière avec la table des arrêts, que vous pourrez voir apparaitre en zoomant suffisamment sur la carte.

      Simplicité des calculs géométriques

      À partir d’un tel fonds de carte et des informations associées, on peut calculer la longueur de chaque itinéraire, le temps de parcours, et donc la vitesse moyenne, pour déterminer les lignes les plus longues, les plus rapides, etc.

      Pour chaque shape, nous pouvions lire dans la table shapes d’origine la distance totale parcourue, renseignée par Tisséo. Mais il est possible de la calculer à partir de sa géométrie.

      Au préalable, pour obtenir une distance en mètres, il convient de projeter à la volée chaque géométrie vers un référentiel métrique, autrement dit de passer du référentiel « GPS » en longitude/latitude (codé conventionnellement EPSG:4326) au référentiel français Lambert 93 (codé EPSG:2154) :

      				
      					SELECT route_short_name, route_long_name, shape_length,
      ST_length(ST_Transform(geometry,'EPSG:4326','EPSG:2154', true))::int 
      AS shape_length_calc
      FROM reseau_gtfs_toulouse_met
      ORDER BY shape_length DESC ;
      				
      			

      Comme on peut le constater, le calcul géométrique est très proche, à quelques mètres près, de l’information fournie par Tisséo.

      Pour éviter l’empilement des parenthèses, je préfère la syntaxe alternative suivante, plus lisible, inspirée de la programmation fonctionnelle, que DuckDB implémente également :

      				
      					SELECT route_short_name, route_long_name, shape_length,
      geometry.ST_Transform('EPSG:4326','EPSG:2154', true)
              .ST_Length()::int 
      AS shape_length_calc
      FROM reseau_gtfs_toulouse_met
      ORDER BY shape_length DESC ;
      
      				
      			
      Quels sont les arrêts Tisséo les plus proches de chez moi ?

      Autre approche spatiale, et pratique : quels sont les arrêts Tisséo les plus proches de chez moi, et quand sont les prochains départs, et pour où ?

      Voici d’abord chez moi :

      				
      					SELECT ST_Point(1.46158, 43.69875) AS home_location ;
      				
      			

      Les arrêts proches de mon domicile (à moins de 700 mètres) se déterminent ainsi :

      				
      					CREATE OR REPLACE VIEW arrets_proches AS 
      SELECT ST_Point(stop_lon, stop_lat) AS geometry, 
      ST_Distance(
       ST_Point(stop_lon, stop_lat).ST_Transform('EPSG:4326','EPSG:2154', true),
       ST_Point(1.46158,  43.69875).ST_Transform('EPSG:4326','EPSG:2154', true)
      )::int AS distance_home, 
      stop_id, stop_name FROM stops
      WHERE distance_home 
      				
      			

      Rappelez-vous, il y a généralement deux arrêts dans la même zone, selon la direction du bus.

      Pour faire le lien avec les horaires, le nom de la ligne, et s’en tenir aux horaires valides aujourd’hui à partir de maintenant, engageons une série de jointures et de filtres adaptés (vous n’êtes pas obligés de tout analyser, sauf si vous êtes passionnés par GTFS) :

      				
      					SELECT route_short_name, route_long_name, stop_name, arrival_time, 
      trip_headsign, distance_home, trips.trip_id
      FROM arrets_proches
      JOIN stop_times ON arrets_proches.stop_id = stop_times.stop_id
      JOIN trips ON stop_times.trip_id = trips.trip_id
      JOIN calendar_dates ON trips.service_id = calendar_dates.service_id
      JOIN routes ON routes.route_id = trips.route_id
      WHERE arrival_time > localtime AND calendar_dates.date = current_date
      ORDER BY arrival_time, distance_home ;
      
      				
      			

      Il reste que la ligne 26 propose plusieurs arrêts près de chez moi ; je souhaite ne retenir que le plus proche. 

      Il suffira d’un QUALIFY avec une “window function” pour nettoyer le résultat :

      				
      					WITH trips_proches AS (
      	SELECT route_short_name || ' - ' || route_long_name AS ligne, 
      	trip_headsign AS terminus, 
      	stop_name, distance_home, arrival_time, trips.trip_id, geometry 
      	FROM arrets_proches
      	JOIN stop_times ON arrets_proches.stop_id = stop_times.stop_id
      	JOIN trips ON stop_times.trip_id = trips.trip_id
      	JOIN calendar_dates ON trips.service_id = calendar_dates.service_id
      	JOIN routes ON routes.route_id = trips.route_id
      	WHERE arrival_time > localtime AND calendar_dates.date = current_date
      )
      SELECT * EXCLUDE(trip_id),
      FROM trips_proches
      WHERE terminus IN ('Borderouge', 'Argoulets')
      QUALIFY rank() over(PARTITION BY trip_id ORDER BY distance_home) = 1
      ORDER BY arrival_time, distance_home ;
      
      				
      			

      Et le plus drôle, c’est que ma fille vient de passer me voir et se demandait quand était le prochain bus pour Argoulets. Elle n’en est pas revenue que je lui montre la réponse dans cette étrange interface ! Son appli Tisséo marche très bien aussi…

      Note : vous pouvez déclencher une requête SQL GTFS via une simple URL.

      B – Base adresse nationale (BAN), filaire de voies et GeoParquet

      Mon second cas d’étude porte sur des fichiers bien plus volumineux, et me permet d’introduire le format GeoParquet.

      Mon précédent logement se trouvait dans une rue limitrophe des communes de Toulouse et de Launaguet. L’état déplorable de la voie s’expliquait, disait-on, par son statut hybride, aucune des deux communes ne voulant s’en occuper à la place de l’autre.

      À l’époque, j’aurais pu vouloir rameuter tous les ménages concernés, habitant le long de cette voie limitrophe, ou à proximité immédiate, pour tancer les autorités (mais c’est juste une fable que j’élabore pour l’occasion). 

      Comment donc compter tous ces voisins ?

      Cette voie s’appelle Chemin des Izards, dont une large portion sud commence dans Toulouse, et une autre délimite Toulouse (à gauche) et Launaguet (à droite).

      À partir du filaire de voies de Toulouse métropole, je vais récupérer l’ensemble du tracé de la voie. Plutôt que lire un GeoJSON de 20 Mo, j’utilise la version GeoParquet du filaire, que j’ai ainsi réduite à 3 Mo. Comme d’habitude, je lis directement les données sur le web, ici sur data.gouv :

      				
      					CREATE OR REPLACE TABLE troncons_izards_ as
      SELECT code_insee, street, fromleft, fromright, 
      ST_GeomFromWKB(geometry) AS geometry
      FROM 'https://static.data.gouv.fr/resources/filaire-voiries-toulouse-metropole-format-geoparquet/20231219-050942/filaire-de-voirie-toulouse-met-geo.parquet'
      WHERE motdir LIKE 'IZARDS%'
      ORDER BY fromleft, fromright ;
      
      				
      			

      Grace à la lecture ciblée du fichier, les seuls « row-groups » du fichier parquet qui contiennent les données seront chargés et scannés. Ainsi, 1 Mo seulement a transité par le réseau. Ceci est possible parce que j’ai constitué le fichier GeoParquet en le triant sur code_insee et motdir, champs de recherche les plus naturels.

      Notez que le champ de géométrie d’un fichier GeoParquet est, selon cette spécification, encodé dans un format spécifique (le WKB). Pour le ramener au format géométrique de DuckDB spatial, il suffit de lui appliquer un ST_GeomFromWKB().

      Pour isoler la partie du chemin des Izards qui est limitrophe de Toulouse et Launaguet, je cherche à identifier des doublons. En effet, ces tronçons limitrophes sont décrits deux fois dans le fichier, pour chaque commune qui gère son côté de voie.

      				
      					CREATE OR REPLACE TABLE frontiere_izards AS 
      SELECT DISTINCT a.geometry,a.fromleft,a.fromright 
      FROM izards_troncons a 
      CROSS JOIN izards_troncons b 
      WHERE ST_Equals(a.geometry, b.geometry) AND a.code_insee  b.code_insee
      ORDER BY a.fromleft, a.fromright ;
      				
      			

      Vérifions visuellement dans DBeaver : je retrouve bien la partie nord du chemin des Izards, celle qui sépare Toulouse et Launaguet :

      Ma deuxième entreprise consiste à élaborer un tampon de 100 mètres autour de cette voie.

      Pour ce faire, je projette en coordonnées métriques avant de calculer le « buffer » :

      				
      					CREATE OR REPLACE TABLE buffer_izards AS 
      SELECT ST_Union_Agg(geometry)
      .ST_Transform('EPSG:4326','EPSG:2154',true)
      .ST_Buffer(100) -- buffer de 100 mètres
      .ST_Transform('EPSG:2154','EPSG:4326',true) AS geom,
      quadkey_min_geo(geom) AS quadkey
      FROM frontiere_izards ;
      
      				
      			

      Vérifions l’allure de ce tampon, cela semble assez correct :

      Indexation spatiale avec une quadkey

      La dernière requête inclut le calcul d’une nouvelle information quadkey, qu’on appelle un index spatial. Ce quadkey suit le modèle de Microsoft avec Bing : la terre est découpée en une pyramide de quadrillages. On peut aller jusqu’au niveau 12 par exemple, et affecter à chaque petit carreau de ce niveau un code à 12 chiffres.

      Bing Maps Tile System

      Ainsi, quand on travaille sur une zone géographique particulière, il est pratique de connaitre le quadkey du carreau qui l’englobe (à un niveau <=12). Cela servira à filtrer d’autres couches, comme la base d’adresses nationale que l’on va découvrir, si elle intègre elle aussi une colonne de quadkey.

      La fonction ST_QuadKey() vient d’apparaitre dans la branche de dev de DuckDB spatial, elle sera disponible prochainement en version 0.9.3. Si vous voulez la tester, il suffit de l’installer de la façon suivante, dans le client DuckDB ou même dans la version web

      				
      					FORCE INSTALL spatial FROM 'http://nightly-extensions.duckdb.org' ;
      				
      			

      ST_Quadkey() calcule le quadkey d’un point géométrique.

      Le concepteur de l’extension DuckDB spatial prévoit même une fonction de calcul du quadkey du carreau le plus petit englobant une entité géographique quelconque (ligne, polygone). 

      Je la préfigure par cette macro : 

      				
      					CREATE OR REPLACE MACRO quadkey_min_geo(geom) AS (
       WITH t1 AS (
      	SELECT 
      	unnest(split(ST_Quadkey(ST_XMin(geom), ST_YMin(geom),12),'')) AS a, 
      	unnest(split(ST_Quadkey(ST_XMin(geom), ST_YMax(geom),12),'')) AS b, 
      	unnest(split(ST_Quadkey(ST_XMax(geom), ST_YMin(geom),12),'')) AS c, 
      	unnest(split(ST_Quadkey(ST_XMax(geom), ST_YMax(geom),12),'')) AS d 
       ) 
       SELECT string_agg(a,'') AS quadkey FROM t1 WHERE a = b AND b = c AND c = d
      ) ;
      
      				
      			

      Ainsi, le quadkey calculé de notre tampon de 100 m autour du Chemin des Izards est :

      Examinons maintenant la base adresse nationale (BAN), je l’ai constituée au format GeoParquet à partir du csv.gz national, en l’enrichissant, pour chaque point adresse (et il y en a 26 millions), du quadkey correspondant. En voici un aperçu, sur un territoire mieux reconnaissable que la banlieue toulousaine :

      BAN en GeoParquet dans QGIS, Finistère nord - coloration par quadkey niveau 12

      Ainsi, la requête filtrée suivante ne charge que 6 Mo de données sur les 600 Mo du fichier parquet national – c’est tout l’intérêt de ce quadkey :

      				
      					SELECT geometry FROM 'https://static.data.gouv.fr/resources/ban-format-parquet/20231228-103716/adresses-france-2023.parquet'
      WHERE quadkey LIKE '120222030220%' ;
      				
      			

      Et je vais maintenant préciser ma demande avec un autre filtre spatial : que les adresses soient dans le “buffer Izards” :

      				
      					SELECT ST_GeomFromWKB(geometry) AS geom FROM 'https://static.data.gouv.fr/resources/ban-format-parquet/20231228-103716/adresses-france-2023.parquet' a
      JOIN buffer_izards b 
           ON ST_Within(ST_GeomFromWKB(geometry), b.geom)
      WHERE a.quadkey LIKE '120222030220%' ; -- 1 s
      				
      			

      L’exécution ne prend ici qu’une seconde. C’est tout bonnement ahurissant.

      Un opérateur de comparaison spatiale comme ST_Within() est coûteux, et s’il fallait le jouer sur les 26 millions d’adresses de la BAN, ce serait monstrueusement long. Restreindre le champ de cette comparaison aux seules adresses du carreau/quadkey pertinent nous fait gagner un temps fou.

      Cela va vite aussi parce que j’ai recopié manuellement le quadkey du buffer. Une manière plus dynamique d’écrire cette requête serait :

      				
      					SELECT ST_GeomFromWKB(geometry) AS geom FROM 'https://static.data.gouv.fr/resources/ban-format-parquet/20231228-103716/adresses-france-2023.parquet' a
      JOIN buffer_izards b ON ST_Within(ST_GeomFromWKB(geometry), b.geom)
      WHERE a.quadkey LIKE (b.quadkey || '%') ;  -- 10 s
      				
      			

      Cette version prend désormais 10 secondes, ce qui reste peu, mais je trouve anormal qu’elle soit bien plus longue que la précédente. J’ai signalé ce cas concret à l’équipe DuckDB et ne doute pas qu’elle saura remettre la vélocité nécessaire ici !

      J’obtiens surtout 153 adresses de ménages qui auraient ainsi pu se mobiliser pour réclamer que la voie soit refaite.

      Mais certains ont bien dû le faire, car la route a été aménagée à neuf depuis peu, agrémentée comme il se doit de moult chicanes et ralentisseurs…

      Pour visualiser ensemble ces adresses, le buffer, la portion limitrophe du chemin et les limites de Toulouse et Launaguet, tentons enfin de réunir ces différentes couches dans une seule table :

      				
      					SELECT ST_union_agg(geometry) AS geometry FROM frontiere_izards
      UNION SELECT geom FROM buffer_izards
      UNION (SELECT ST_GeomFromWKB(geometry) AS geom FROM 'https://static.data.gouv.fr/resources/ban-format-parquet/20231228-103716/adresses-france-2023.parquet' a
       JOIN buffer_izards b ON ST_Within(ST_GeomFromWKB(geometry), b.geom)
       WHERE a.quadkey LIKE '120222030220%')
      UNION SELECT ST_ExteriorRing(geom) FROM st_read('https://geo.api.gouv.fr/communes?code=31555&format=geojson&geometry=contour')
      UNION SELECT ST_ExteriorRing(geom) FROM st_read('https://geo.api.gouv.fr/communes?code=31282&format=geojson&geometry=contour') ;
      				
      			

      J’ai mobilisé au passage une API web, l’API Géo, pour récupérer le contour des deux communes. Ainsi, cette ultime requête mobilise ensemble des sources web indépendantes : la BAN (GeoParquet), le filaire de Toulouse métropole (GeoParquet), et l’API Géo (GeoJSON).

      Et voici le résultat directement affiché dans DBeaver !

      153 adresses à proximité du tronçon limitrophe du Chemin des Izards Le format GeoParquet

      Ce format nait d’une initiative communautaire, désireuse d’utiliser Parquet pour encoder des fichiers géographiques. Parvenu en 2023 à sa version 1.0, GeoParquet est lu par le logiciel libre QGiS, qui permet donc de le visualiser, et supporté par des éditeurs majeurs (Esri, Carto, FME, Microsoft…) 

      Depuis août 2023, un groupe de travail au sein de l’OGC est chargé d’en affiner encore la spécification pour l’asseoir définitivement comme un standard géographique mondial. L’IGN anglais, l’Ordnance Survey, utilise déjà GeoParquet.

      Un fichier GeoParquet est un fichier Parquet qui comprend des métadonnées géographiques spécifiques et encode la géométrie, officiellement au format WKB, mais aussi possiblement au format Arrow. Le format GeoArrow est donc un GeoParquet dans lequel la colonne de géométrie, au lieu du classique WKB, utilise une structure bien plus rapide à charger en mémoire, sans décodage.

      D’une façon générale, le format GeoParquet est bien plus compact que ses alternatives. Comme tout fichier Parquet, on peut le lire (avec DuckDB par exemple) de façon sélective sur le web avec des « range requests », ce qui permet de requêter directement en [https] sans avoir à télécharger le fichier complet en local.

      Il existe de multiples façons de convertir en GeoParquet un fichier géographique classique de type GeoJSON, shp, gpkg ou autres, par exemple :

      • OGR/GDAL,
      • librairies GeoPandas (Python), geoarrow (R),
      • utilitaire gpq.

      J’utilise plutôt ce dernier car, comme DuckDB, c’est un petit exécutable (30 Mo), sans dépendance. DuckDB ne sait pas – encore, mais ça va venir – exporter en GeoParquet. Mais il peut exporter un fichier géographique en Parquet standard, gpq venant ensuite le transformer en GeoParquet.

      Ainsi, pour convertir la base adresse nationale (BAN) en GeoParquet, je commence dans DuckDB par un export Parquet :

      				
      					COPY (
      WITH ban AS (
       SELECT *, ST_AsWKB(ST_point(lon, lat)) AS geometry, 
       ST_QuadKey(ST_point(lon, lat), 12) AS quadkey 
       FROM 'c:\...\adresses-france.csv.gz' 
      )
      SELECT * EXCLUDE(lon,lat,x,y) FROM ban
      ORDER BY quadkey
      ) TO 'c:\...\adresses-france.parquet' ;
      				
      			

      Notez qu’une fois le champ de géométrie créé (obligatoirement en WKB), je n’ai plus besoin des colonnes redondantes lon, lat, x et y. Par ailleurs, je rajoute une colonne quadkey et, je trie sur cette colonne – très important – pour donner à cet indexation spatiale toute son efficacité.

      Puis, en ligne de commande, je passe de Parquet à GeoParquet :

      gpq convert c:\...\adresses-france.parquet c:\...\adresses-france-geo.parquet 
      --from=parquet --to=geoparquet --compression=zstd

      Je peux aussi préciser un –row-group-length= pour ajuster la taille des row-groups dans le fichier, paramètre important pour accélérer les requêtes [https] : je dois avoir suffisamment de row-groups (une dizaine typiquement) pour que lire le ou les row-groups qui contiennent les données que je recherche soit efficace, fasse économiser beaucoup de bande passante.

      adresses-france-geo.parquet est un peu plus léger (600 Mo) que le csv.gz téléchargeable (700 Mo). Et surtout, il est directement requêtable en [https,] avec une extraordinaire efficacité pour ses 26 millions d’adresses.

      Conclusion de cette série de trois articles sur DuckDB et ses bluffantes potentialités

      DuckDB, Parquet et GeoParquet nous font entrer dans un nouvel univers, qui dépasse le classique modèle client / « serveur spécialisé de base de données », ou client / API web.

      À la place des boites noires sur serveur, qui implémentent en silo des API et des requêtes, le web entier devient une base de données généraliste, et c’est l’ordinateur de l’utilisateur qui fait le travail de requêtage, capable de charger sélectivement et sans enrobage inutile des flux de données brutes directement utilisables en mémoire.

      Peu de personnes encore ont saisi toutes les implications de cette mutation. Voici quelques avantages très concrets :

      • Économiser en gestion des données et d’accès concurrents sur les serveurs de mise à disposition : il suffit de déposer des fichiers et de laisser la magie du protocole [https] et des systèmes de cache opérer.
      • Éviter à l’usager de télécharger des fichiers en local, de les dézipper, à chaque fois qu’il veut accéder aux données les plus fraiches.
      • Dépasser la syntaxe obscure et variable des API web et surtout leurs limitations : formats de sortie verbeux, identification nécessaire parfois, limite en volume ou en nombre d’appels, lenteur souvent, pannes à l’occasion.
      • Pouvoir dans la même requête interroger simultanément plusieurs sources de données sur le web, faire les jointures nécessaires à la volée.
      • N’utiliser, côté utilisateur, que deux ou trois logiciels très simples, légers, rapides à charger, gratuits (le navigateur, év. un exécutable DuckDB indépendant si l’on utilise pas DuckDB dans le navigateur, DBeaver pour la productivité) et surtout un seul langage, le standard parmi les standards, SQL, flexible et intuitif.
      • Accéder avec une vitesse incroyable à des fichiers plus volumineux, même avec une mémoire limitée.

      Au-delà de la technique, j’ai voulu dans ces trois articles vous faire (re)découvrir la belle richesse des sources de données open data en France, en élaborant des cas d’usage les plus concrets et reproductibles possibles.

      J’espère enfin que les gestionnaires de ces bases open data et des API liées sauront saisir les avantages, pour l’utilisateur, à proposer en complément de leur dispositif actuel des bases au format (geo)parquet.

      Pour en savoir plus

      L’article 3 explorations bluffantes avec DuckDB – Croiser les requêtes spatiales (3/3) est apparu en premier sur Icem7.

    • sur Questions à la géographie féministe, Marianne BlidonCafé géo du 3 janvier 2023

      Publié: 18 December 2023, 8:06pm CET par r.a.
      Café géo de Montpellier du 3 janvier 2023

      Marianne Blidon est géographe féministe, spécialiste de géographie sociale et politique au prisme du genre et des sexualités. Elle est maître de conférences habilitée à diriger des recherches à l’Institut de Démographie de l’Université Paris 1-Panthéon Sorbonne (IDUP) où elle est aussi référente égalité et membre du comité d’éthique de l’Université Paris 1-Panthéon Sorbonne. Par ailleurs, elle est membre du bureau de la commission genre et géographie de l’UGI et de la commission diversité de l’alliance UNA Europa.

      Ses recherches récentes concernent la géographie du trauma et son élaboration épistémologique, théorique et méthodologique. Elle conduit actuellement une enquête longitudinale et un suivi de cohorte sur les projets d’émigration vers Israël et l’Amérique du Nord en lien avec l’expérience et les représentations de l’antisémitisme.  Elle est aussi membre du projet collaboratif européen RESIST – Fostering Queer Feminist Intersectional Resistances against Transnational Anti-Gender Politics (EU Horizon Europe) sous la direction de la géographe irlandaise Kath Browne[1].

      Définir le féminisme et la géographie féministe

      Il n’est pas possible de concevoir la géographie féministe, et de la définir, sans d’abord définir le féminisme. Cependant, comme l’a souligné Marianne Blidon, le féminisme étant multiple, il est lui-même difficile à définir, au point que certain·es résistent à le faire. L’idée première, simpliste, que nous avons du féminisme est celle d’une lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Or, le féminisme ne concerne pas que les femmes, ni seulement cette lutte vers l’égalité des genres. C’est ce qu’a proposé de nous montrer Marianne Blidon en se basant sur diverses sources théoriques. Selon Angela Davis, le féminisme serait une méthode pour mieux lutter pour le changement, dans tous les domaines, ce qui explique que l’autrice y ajoute des notions de race et de classe (2008). Cette idée trouve sa continuité dans le concept d’intersectionnalité de Kimberley Crenshaw, qui propose de penser l’ensemble des intersections des situations de discrimination et leurs impacts (1989). Prenant tout ceci en compte, on peut s’accorder sur le fait que le féminisme est un moyen de penser le changement social au sens large (S. Bourcier et A. Molinier, 2012).

      La géographie féministe est influencée par ces définitions, mais reste complexe à définir de manière succincte. Aussi Marianne Blidon nous a-t-elle proposé de reprendre la définition de la géographe afro-américaine Rickie Sanders, qui définit la géographie féministe à partir de 8 caractéristiques :

      – Remettre en question les relations de pouvoir, à la fois comme objet et comme pratique réflexive, c’est-à-dire que les relations de pouvoirs sont non seulement un objet d’étude à part entière, mais elles servent aussi de grille d’analyse d’autres phénomènes ;
      – Avoir une approche intersectionnelle ;
      – Prêter attention à l’ordinaire, au quotidien, plutôt qu’à l’extraordinaire ;
      – Donner une voix à celleux qui n’en ont pas, grâce à des travaux collaboratifs ; travailler « avec » les personnes étudiées et pas seulement « sur » elles ;
      – Agir en accord avec ses principes féministes ;
      – S’engager dans des débats épistémologiques sur la vérité et la production de la connaissance ;
      – S’inscrire dans la perspective des savoirs situés ;
      – Donner quelque chose en retour de ces études.

      Cette première définition nous donne une bonne idée de ce que la géographie féministe est, et de ses perspectives tant épistémologiques que méthodologiques. Malgré cela, féminisme et géographie féministe font face, comme l’a très bien expliqué Marianne Blidon, à des résistances qui les empêchent de trouver une place reconnue et durable notamment dans les institutions universitaires françaises.

      Les résistances au féminisme et à la géographie féministe : quelles raisons, quels arguments ?

      Au cours de sa conférence, Marianne Blidon a insisté sur la résistance à l’institutionnalisation de la géographie féministe en France aujourd’hui alors qu’elle s’est largement développée dans les espaces académiques anglo-saxons (première chaire en GB en 1994 par Liz Bondi, création de la revue Gender, Place and Culture, etc.). Elle demeure un angle mort de la géographie nationale. Ce désintérêt et cette invisibilisation sont renforcés par une présentation stéréotypée et peu informée ainsi que la stigmatisation dont ce champ fait l’objet. La géographie féministe est soit disqualifiée comme un champ a-scientifique car engagé et militant, soit réduite à une particularité anglo-saxonne de la géographie culturelle. JF. Staszak ou C. Chivallon ont parfois cette lecture culturaliste : la géographie française s’intéresse à la classe, l’anglo-saxonne au genre et à la race. Ainsi, elle reste souvent en marge ou absente des appels à projets, des manuels et des présentations généralistes. Par ailleurs, l’ancienneté et la vitalité de ce courant de la géographie sont gommés au profit du récit de la figure pionnière – Jacqueline Coutras  – qui aurait fait seule émerger le champ sans continuité, appuis ou ancrages ; invisibilisant par la même d’autres figures importantes comme Jeanne Fagnani ou Renée Rochefort (voir notamment Ginsburger, 2017).

      Par ailleurs, la France souffre d’une ambiguïté quant au féminisme et, par extension, à la géographie féministe. La portée de cet héritage est ambiguë et le combat pour l’égalité apparaît pour beaucoup comme un combat dépassé du fait du « mythe de l’égalité déjà-là » et ce malgré les nombreuses objectivations chiffrées des inégalités et des violences systémiques (harcèlement de rue, violences de genre et féminicides, inégalités salariales et inégales disposition des temps sociaux…). Si le mouvement #Metoo a suscité beaucoup d’espoirs de changement parmi la jeune génération, le bilan demeure en demi-teinte et la vigueur et les attaques des mouvements antiféministes ont de quoi inquiéter. Ces discours sont éclairants quant à la résistance aux idées et aux épistémologies féministes. Marianne Blidon nous en a proposé une liste non exhaustive. Les arguments vont d’une considération du féminisme comme un combat dépassé, l’égalité effective étant atteinte, au refus de la victimisation, en passant par une attention se reportant sur une crise de la masculinité qui voudrait que les hommes soient en réalité les véritables victimes dans la société actuelle. Tous ces arguments sont réfutables par les statistiques, qui prouvent que l’égalité hommes-femmes est loin d’être atteinte et que les violences de genre persistent. Marianne Blidon a aussi insisté sur la nécessaire distinction entre expérience personnelle et les rapports sociaux. Vivre dans un couple hétérosexuel égalitaire, être mieux payée que son conjoint, avoir eu régulièrement des promotions face à des hommes n’invalident pas des inégalités systémiques qui ne se situent pas seulement à un niveau individuel mais collectif.

      La géographie féministe fait face à des résistances similaires, notamment en raison de son lien avec le mouvement féministe. Le féminisme n’étant pas considéré comme une démarche scientifique, mais comme un engagement politique et militant, la géographie féministe souffre donc d’une forte disqualification. N’étant pas prise au sérieux, elle ne trouve pas, ou peu, sa place dans les institutions universitaires françaises. Ainsi, on ne trouve pas, ou peu, en France de cours sur la question et encore moins de départements ou de cursus dédiés contrairement aux espaces anglophones. Ce déséquilibre entre la France et ses voisins britanniques ou nord-américains conduit à envisager à l’instar de Christine Chivallon que ce champ serait le propre de ces espaces académiques plus ouverts à une approche communautaire. Cette lecture culturaliste achoppe sur l’histoire de cette discipline et l’oubli que dès 1982, le CNRS lance l’Action Thématique Programmée « Recherches sur les femmes et recherches féministes », à la suite du colloque « Femmes, féminisme, et recherche », tenu à Toulouse (Rouch, 2001).Tout ceci explique que, comme le dit Gillian Rose, citée par Marianne Blidon lors que sa conférence, « la géographie féministe reste “en dehors du projet” de la géographie » (1993).

      Néanmoins, la géographie féministe est aujourd’hui plus visible en partie grâce à une nouvelle génération plus demandeuse et au courant des luttes féministes et de leurs apports. Dans le milieu universitaire, la mise au jour d’affaires de harcèlement et d’agressions sexuelles permet l’apparition de discours et de pratiques militantes et critiques. Les questions féministes trouvent aussi leur place dans le monde universitaire via la circulation des savoirs académiques et le poids des normes anglophones dans le milieu, permettant d’imposer plus durablement la géographie féministe. Enfin, les institutions s’emparent des questions féministes, conscientes de leur impact dans la protection du système démocratique. Tout cela tend à rendre la géographie féministe plus visible et reconnue, et avec elle ses nombreux apports à la discipline géographique.

      Apports de la géographie féministe

      Comme l’a montré la définition de R. Sanders rappelée par Marianne Blidon, la géographie féministe est vectrice de changements importants dans la discipline géographique et dans les sciences humaines au sens large. Marianne Blidon nous a permis de le voir en nous présentant les apports de la géographie féministe. Même s’il existe plusieurs mouvements de géographie féministe avec leurs spécificités, on peut résumer de manière globale les apports de la discipline à une refondation des principes de la discipline à la fois ses concepts, ses catégories et ses théories mais aussi sa manière d’enseigner et de conduire des recherches. C’est tous les fondements androcentriques de la discipline que la géographie féministe invite à dévoiler et à transformer. Parmi les perspectives ouvertes par ce courant de la géographie, on peut citer :

      – Redonner leur place aux femmes en géographie en revisitant les travaux des pionnières mais aussi des petites mains qui ont fait la science dans l’ombre des pères fondateurs (voir les travaux de Janice Monk) ;
      – Dévoiler les biais androcentriques des catégories et des concepts de la discipline à l’instar du travail réalisé par Claire Hancock avec le terme territoire ;
      – Favoriser le développement d’une science plus réflexive et éthique (Cf les travaux de Gillian Rose) ;
      – Questionne la place du corps, des sens et du sensible dans la production d’un savoir géographique médié par le terrain (voir notamment les travaux d’Anne Volvey).

      La géographie féministe, enfin, travaille à l’historicisation des rapports de pouvoir dans la science et à la conscientisation de ces rapports. Elle nous montre que plus qu’une lutte politique et sociale, le féminisme est une épistémologie, un corpus théorique mais aussi une praxis et une éthique, et une volonté de sortir de la victimisation dans une perspective d’empouvoirement, d’émancipation, et de justice sociale.

      Au cours de sa conférence, Marianne Blidon nous a donc montré les spécificités et les apports de la pratique scientifique et politique qu’est la géographie féministe, et nous a permis de mieux comprendre son intérêt pour une science et une société émancipatrices. Nous la remercions chaleureusement pour cette intervention passionnante et au cours de laquelle nous avons pu vérifier certaines des thèses de la géographie féministe grâce aux interventions véhémentes et parfois agressives d’une partie du public.

      Compte-rendu de Léo Boulanger – Relecture de M. Blidon, 2023.

      [1] Source : [https:]]

    • sur Produire et manger localement, utopie ou réalité ?

      Publié: 18 December 2023, 7:49pm CET par r.a.

      Lors du café-géo du 6 décembre 2022 à Montpellier, Nabil Hasnaoui Amri (chercheur associé, UMR Innovation) (1) a présenté les résultats de sa thèse (2) dans laquelle il observe toute une collectivité s’interrogeant sur les emplacements à dédier à l’agriculture. Sont observés les jeux d’acteurs qui président à la mise en place de cette politique de réintroduction d’espaces agricoles au sein de l’agglomération; les leviers d’action  utilisés pour la mise en place de cette agriculture urbaine ainsi que les limites spatiales, foncières et actorielles de ce projet. Quelles sont les réalités géographiques et politiques de ce jeune projet innovant et quelles en sont les dimensions utopiques ?

      Contexte général

      Le projet P2A s’inscrit dans un contexte général de mutation de l’agriculture :

      Une défiance générale des citoyens au sujet de la qualité des produits agricoles suite aux différentes crises sanitaires comme celle de la vache folle dans les années 90. Le souci des pays riches porte désormais davantage sur la qualité des produits agricoles que sur leur quantité.
      Une évolution du monde agricole marquée par une baisse des actifs agricoles, une diversification de leur profil social et une crise de légitimité au plan tant politique, social que sur  le plan des pratiques agricoles (usage des ressources, pollutions…)
      Une délégation croissante de l’action publique vers les collectivités locales et une prise en charge par ces mêmes collectivités des actions liées à la transition agricole.

      Le projet P2A : une transition qui accompagne une vaste transformation politique.

      La métropole vise dans ce cas une transition vers une agriculture nourricière en partie implantée au sein des espaces urbains. De nouvelles compétences économiques et de développement ont été déléguées à la Métropole de Montpellier du fait de la loi NOTRe. Elle devient ainsi l’interface entre les problèmes locaux et les changements globaux (environnement, alimentation de proximité) mais aussi entre les différentes sphères sectorielles (agriculture, urbanisme …). La collectivité locale devient médiatrice entre  les échelles et les acteurs  alors que c’était autrefois l’État qui jouait ce rôle de régulation comme l’avait montré P.Muller (Le technocrate et le paysan, 2014, L’Harmattan).  Dans le cas de Montpellier, N.Hasnaoui Amri, est parti de l’hypothèse qu’il existait de nombreux décalages entre les attendus des acteurs urbains, des citoyens engagés dans la transition agro-alimentaire de la métropole et les projets de tout un archipel agricole fait d’une diversité d’agriculteurs devant  coexister dans cet espace.

      Une généalogie agraire de l’agglomération permettant de distinguer plusieurs périodes.

      1820-70 : un système traditionnel de polyculture et d’élevage + développement du vignoble de masse.
      1950-80 : une modernisation de la viticulture et une urbanisation accélérée 1980-2000 : arrachage viticole et « désactivation » des vignes + extension de l’urbanisation
      2006-2012 : de plus en plus de désactivation, les terres étant en attente d’urbanisation, on y plante du blé dur subventionné par la PAC. Les travaux du SCOT montrent que la surface urbaine passe de 1000 ha à 10 000 ha entre 1960 et 2004 dans l’agglomération érodant largement les espaces agricoles restants.

      Trois modèles urbains se succèdent donc à Montpellier :
      Technopole à bâtir
      Ville durable ? création des Agriparcs
      Ville en Transition ? P2A: Politique Agroécologique et Alimentaire
      L’agriculture devient un objet urbain

       

       

       

      Les leviers pour une transition agroécologique et agro-alimentaire existent bien que la métropole ait peu de compétences proprement agricoles :

      – La gestion du foncier peut se faire du fait de compétences d’urbanisme et grâce à des liens avec la SAFER
      – Quelques entrées agricoles peuvent se faire par la gestion des déchets, celle des risques ou de questions économiques.
      – L’impulsion du pôle de compétitivité Agropolis permet également une entrée agricole.
      – La promotion des produits du terroir est un levier d’action.
      – L’application de l’Agenda 21 (issu des préconisations de Rio en 1992) a permis la mise en place d’un projet d’Agriparc pour y répondre.
      – La rédaction des documents d’urbanisme offre une réflexion nouvelle sur les espaces agricoles notamment cette du SCOT 2 qui propose “d’inverser le regard” et de mettre l’accent sur l’aménagement des espaces de nature et des espaces agricoles dans la ville au lieu de les percevoir comme des « vides de la carte ».

      L’adhésion en 2010 de Montpellier à la politique des villes en transition a motivé d’autres actions au plan agricole…

      L’agriculture est ainsi introduite comme un objet d’aménagement de la ville à travers une complexe superposition de référentiels et d’outils.
      En 2010 apparaît ainsi la première politique alimentaire de la métropole ce qui n’empêche cependant pas que la ville ait continué à perdre des espaces agricoles (120 ha perdus entre 1994 et 2008). L’espace occidental de la métropole (autour de Lavérune et Fabrègues) est présenté comme la plaine nourricière à venir. Les demandes sociales d’écologisation des productions et de relocalisation des productions (une proximité entre consommateur et producteur) sont portées en 2015 par le « pacte alimentaire de Milan » qui donne l’occasion aux élus de Montpellier de s’associer à la démarche d’un réseau international de « grandes villes ». L’agriculture change alors de statut, c’est une agriculture multifonctionnelle que l’on promeut : nourricière d’une part mais également apte à résoudre les changements globaux et dotée de fonctions environnementales multiples (alimentation durable, lutte contre les risques, services écosystémiques contre l’inondation, contre l’érosion de la biodiversité …).
      Le marketing urbain se transforme dans ce sens comme le montre le marketing territorial de la métropole de Montpellier  (ci-dessous): on passe de l’imagerie de la technopole hors-sol à l’image d’une métropole enracinée…

      Hasnaoui Amri évoque enfin les logiques du projet P2A (Politique Agricole et Alimentaire)  qu’il a analysé dans plusieurs articles (voir bibliographie). Ce projet montpelliérain consiste à promouvoir des productions agroécologiques urbaines et des circuits plus locaux  grâce à plusieurs actions :

      – mettre à disposition du foncier public pour les agriculteurs dans la continuité du projet du SCOT de conserver des espaces agricoles et freiner l’étalement urbain à Montpellier (2000) ;
      – introduire des procédures de New public management par appel à projets (un instrument d’action public qui s’est développé depuis 15 ans) pour initier des projets agroécologiques ;
      – négocier directement avec les agriculteurs qui souhaitent s’investir dans le P2A.

      Nabil Hasnaoui Amri évoque 3 projets :

      1) L’aménagement d’un agri-parc : en 2010, la Communauté d’Agglomération de Montpellier (CAM) acquiert le domaine de Viviers situé au Nord de Montpellier. 20 % des 111ha de terres sont dédiés à des cultures vivrières, viticulture et céréaliculture en conventionnel pour le reste (commercialisées en filières longues). Seul un projet agricole alternatif (TerraCoopa) est présent – plus en adéquation avec le discours tenu sur la multifonctionnalité et qui a réussi à obtenir une part (10 % environ) du foncier alloué.

      2) Installation de fermes nourricières: La question agri-alimentaire est alors actionnée comme ressource politique pour favoriser des alliances entre Montpellier et les communes périurbaines et rurales de son territoire. Le choix est ainsi fait d’attribuer à nouveau du foncier agricole appartenant à la Métropole (14 ha sur deux domaines à l’abandon, des friches agricoles dont une part est en attente d’urbanisation) à des agriculteurs pour installer des micro-fermes maraîchères. L’allocation foncière se fait directement sans passer par la SAFER, syndicats viticoles et chambre d’agriculture. Une allocation est donnée en fonction de réseaux affinitaires et idéologiques (la critique du modèle productiviste faisant l’unité). Cela conduit à l’installation de nouveaux agriculteurs sur de petites parcelles dans des interstices urbains. N. Hasnaoui Amri souligne que la marginalité et précarité de ces nouveaux fermiers demeure une donnée qui empêche d’en faire un modèle vertueux au plan social et spatial.

      3) Redéploiement pastoral en garrigue : appel à bergers pour entretien des garrigues et de la biodiversité. Les espaces concernés sont le Domaine de Mirabeau à Fabrègues  (il s’agit d’y évincer un projet de décharge), des terres acquises en compensation de grandes infrastructures – achat par les aménageurs selon la procédure Éviter-Réduire-Compenser (dite « ERC ») (renforcée par loi Grenelle 2011 et 2016) et gérées par le Conservatoire des Espaces Naturels (CEN)

      La fin de l’intervention a permis à Nabil Hasnaoui Am ri de répondre à quelques questions sur la quantification de cette agriculture urbaine (il ne s’agit pour le moment que d’une centaine d’hectares sur la métropole), sur la nécessité de politiques inter-territoriales intégrant espaces ruraux et espaces urbains, sur les actions de « Terres de liens » dans l’acquisition du foncier.

      Pour aller plus loin

      ASNAOUI AMRI Nabil, « Entre utopie, transition et rupture, quelle politique pour accompagner le développement d’une agriculture écologique et nourricière ? Illustration à partir du cas de Montpellier Métropole », Pour, 2018/2-3 (N° 234-235), p. 271-278. URL : [https:]
      HASNAOUI AMRI Nabil, « La ville comme moteur de recompositions viticoles ? Réflexions à partir du cas montpelliérain », Pour, 2019/1-2 (N° 237-238), p. 319-334.  URL : [https:]
      HASNAOUI AMRI Nabil, MICHEL Laura, SOULARD Christophe-Toussaint, « Vers un renouvellement du dialogue entre agriculteurs et r
      égions urbaines autour de laccès au foncier agricole. Cas de la Métropole de Montpellier, France », Norois, 2022/1 (n° 262), p. 61-78. URL : [https:]

       

      Prise de notes : Sian CERRATO, Margot PEREMARTI, Ch.CASTAN,  juin 2023

       

      (1) Agronome et géographe, N. Hasnaoui Amri travaille sur la re-territorialisation de l’agriculture en ville dans le cadre de la politique de transition P2A à Montpellier (Politique Agro-écologique et Alimentaire menée par les 31 communes de l’Agglomération).

      (2) HASNAOUI AMRI Nabil, «  La participation des agriculteurs à une politique alimentaire territoriale : le cas de Montpellier Méditerranée Métropole », thèse soutenue en 2018 à Montpellier (Direction Laura Michel et Christophe Soulard – Géographie sociale et approche cognitive des politiques publiques).

      Thèse fondée sur des observations participantes, l’analyse des délibérations des collectivités, des entretiens qualitatifs avec élus, agriculteurs, éleveurs, agents de développement (= métropole, communes, autres collectivités, chambre d’agriculture…), travaux sur des appels à projets, travaux dans le cadre du renouvellement du SCOT de Montpellier)

    • sur La rue : évolution d’un espace public en France

      Publié: 17 December 2023, 5:48pm CET par r.a.

      Michèle Vignaux présente Claude Gauvard (au centre) et Danielle Tartakowsky (droite), cliché M.Huvet-Martinet

      Les Cafés Géo ont eu le plaisir d’accueillir au Flore à l’occasion de la sortie récente de l’Histoire de la rue, de l’antiquité à nos jours * deux éminentes historiennes intéressées par la géographie urbaine. Claude Gauvard (C. G) est professeure émérite d’histoire médiévale à Paris I-Panthéon Sorbonne, spécialiste de la société et de la justice du Moyen Âge.  Danielle Tartakowsky (D.T) est professeure émérite d’histoire contemporaine à Paris 8, spécialiste des mouvements sociaux.

      La rue est à ce point familière au citadin qu’on n’y prête plus guère attention. C’est aussi un espace à connotation affective : on parle de « gosses des rues », « chansons des rues » … Quel était cet espace autrefois, quel est-il aujourd’hui ?  Quelle place pour le piéton ?  A quoi ressemblait cet espace avant l’éclairage, l’automobile ? Quelles sont les permanences, les ruptures depuis l’Antiquité ?

      Interrogée en introduction sur le choix d’un découpage chronologique original, privilégiant « un long Moyen Âge » (du 5ème au 19ème siècles). C.G insiste sur le fait que les médiévistes travaillent toujours sur le long terme voire le très long terme.  En ce qui concerne la rue en France, on peut considérer que du Moyen Âge à Haussmann, la configuration, la largeur, l’hygiène, la sociabilité des rues, les hommes et femmes qui la fréquentent et y travaillent, demeurent pratiquement les mêmes.

      La rue, lieu de circulation.

      C.G. La continuité dans le temps long est frappante. Les embouteillages décrits par Boileau pourraient dater du Moyen Âge, voire de l’Antiquité. Dans toutes les villes moyennes (environ 20 000 à 30 000 habitants) tout comme à Paris (200 000 habitants au début du 14ème siècle), l’espace est le plus souvent totalement saturé. La congestion anarchique est provoquée par le nombre croissant de véhicules et d’hommes concentrés dans un tissu urbain resté identique, constitué d’un lacis de ruelles et de rues étroites et tortueuses souvent de deux mètres de large atteignant très rarement six mètres maximum comme la rue neuve construite (1160) par l’évêque de Paris pour rejoindre Notre-Dame au palais royal dans l’IIe de la Cité en faisant détruire des blocs d’habitations. Il y a certes quelques villes neuves qui dérogent à la règle générale avec des rues au carré plus spacieuses à l’image des rues de l’Antiquité qui découpaient l’espace en lignes droites bordées de portiques.

      Ceux qui circulent sont des marchands, des artisans, qui travaillent sur place et évacuent leur production. Les bêtes de trait et les charrettes provoquent beaucoup d’accidents. D’après les sources, on sait il y a beaucoup d’hommes mais c’est plus difficile de connaitre la place des femmes. Celles-ci circulent comme travailleuses : elles sont nombreuses notamment dans le travail de la soie à Paris et elles vendent parfois à la criée leur production. Les femmes se promènent-elles dans les rues ? C.G n’a pas de réponse quantitative car les sources sont extrêmement fugitives sur ce point.

      D.T. fait remarquer que la perception de la rue comme lieu d’embarras est vieille comme la rue. L’apparition de l’automobile a été une rupture majeure dans une histoire de longue durée qui n’est pas univoque et dont l’évolution n’est pas linéaire mais où se superposent les mutations technologiques et politiques. Les travaux qu’Haussmann a imposés à la ville médiévale méritent d’être réévalués positivement dans la mesure où il a repensé l’espace urbain avant l’arrivée de l’automobile, en ayant une vision avant-gardiste remarquable.  L’automobile ne devient un élément essentiel dans les interactions avec la ville que dans les années 1950 qui constituent une rupture majeure dans l’histoire longue de la rue. C’est en 1832 qu’une ordonnance de la préfecture de police de Paris définit, pour la première fois, les usages fonctionnels de la rue en affectant la voie publique à la circulation, principe réitéré théoriquement par Le Corbusier. Mais ce sont les années Pompidou qui marquent la ferme volonté d’adapter la ville à la circulation automobile, remettant en cause, pendant environ une vingtaine d’années l’hégémonie de la rue comme espace public même si les architectes recourant à l’urbanisme de la dalle ont souhaité préserver la rue comme structure de base du plan urbain.

      La rue, lieu de sociabilité.

      C.G.  La rue au Moyen Âge et pendant très longtemps est un lieu de vie où on se rencontre, se parle, se connait, où on se jauge et où on définit ce qu’on est. En effet, jusqu’au 18èmesiècle, surtout pour certaines catégories sociales, on aime se comparer aux yeux des autres qui font ce que vous êtes, c’est à dire votre renommée, bonne (la fama) ou mauvaise (la diffamation). On est alors dans une société d’honneur et c’est dans la rue ouverte, dans l’atelier, entre gens qui se connaissent que se fait et se défait la réputation à un point tel qu’il y a des rues honorables et d’autres pas : on voit au 15ème siècle des bourgeois de Paris aller se plaindre au Châtelet de la présence de prostituées qui déshonorent leur rue. Il y a un honneur de la rue qui par osmose se répercute sur l’honneur de la ville qui décide, parfois, à certains moments, d’exclure les prostituées comme à Toulouse, Paris, Dijon, Lyon…Les bagarres commencent le plus souvent à la taverne mais se terminent toujours dans la rue, lieu public où se défend l’honneur.

      Beaucoup d’enfants, de pauvres, de mendiants vivent dans la rue, plus ou moins bien acceptés parfois expulsés.

      D.T. Si les enfants sont autrefois nombreux dans la rue jusque dans les années 1950, ce n’est plus le cas actuellement car les parents ont peur pour leur sécurité. Les petits boutiquiers qui veillaient ferment tour à tour ; il y a une nostalgie de la « rue creuset » qui n’est plus. A chaque époque, et sous des formes qui diffèrent, il y a les exclus de la rue : dans la longue durée ce sont les pauvres, les prostituées, les SDF. On peut ajouter plus récemment la question de la construction des mosquées.

      Les trottoirs ont pour fonction de protéger les piétons. L’Antiquité avait ses portiques, Pompéi avait des trottoirs mais ceux-ci disparaissent pendant près de deux millénaires pour réapparaitre au début 19ème siècle mais surtout au 20ème siècle. Ils sont une réponse ordonnée à l’organisation de l’espace en protégeant les piétons car les villes grandissent avec l’industrialisation, elles se transforment et s’ouvrent. Avec les travaux d’Haussmann et les grandes percées, la rue et les boulevards deviennent des lieux de promenade : les piétons doivent être protégés de la circulation car maintenant ce sont des promeneurs qui flânent dans les rues élargies où on trouve toutes sortes de sollicitations, notamment les kiosques à journaux. Être dans la rue, ce n’est plus être dans sa rue.

       La construction des trottoirs a engagé un phénomène de segmentation, voire de semi-privatisation qui se poursuit actuellement avec les couloirs d’autobus, de vélo. A Shanghai on trouve même, parallèlement aux couloirs pour cyclistes, des couloirs réservés aux joggeurs.

      C.G. Au Moyen Âge on ne flâne pas dans les rues qui sont immondes. La flânerie est un luxe et la rue devient progressivement et plus récemment, un lieu du luxe tout en se démocratisant.

      La rue, lieu d’expression politique.

      D.T. La rue est un lieu d’échanges et est, dans notre histoire très spécifique, depuis le 18ème siècle jusqu’à la Commune, le lieu fantasmatique de l’expression du peuple en armes. C’est la rue du peuple des barricades glorifié par Victor Hugo, Delacroix, qui peut faire et défaire les régimes. Avec la victoire des Républicains dans les années 1880, on assiste à un lent processus de basculement de ces mouvements de rue, révoltes du peuple des faubourgs qui descend dans la rue, aux manifestations de rue. Tous les acteurs politiques et sociologiques peuvent descendre dans la rue, espace public pour manifester, revendiquer, protester. Le mot manifestation est polysémique et a recouvert longtemps des évènements divers : processions, parades, défilés…ce n’est que tardivement qu’il prend son sens actuel familier : la manif’. La centralité politique récurrente de la rue au 19ème siècle, puis, sous d’autres formes, en 1934 ou 1968, constitue une spécificité française.

      C.G.  Au Moyen Âge aussi on exprimait ses opinions dans la rue, lieu de transmission des rumeurs, et lieu possible des insurrections. La rue fait peur aux autorités. C’est donc un lieu qu’il faut dominer et contrôler, éventuellement en installant des chaines comme en 1382 à Paris lors de la révolte des Maillotins. Les 14ème et 15ème siècles sont dans plusieurs pays (France, Angleterre, Italie) des moments de révoltes urbaines, le plus souvent d’origine fiscale, qui partent de la rue. Ainsi celle d’Etienne Marcel (1356-57) qui devient une véritable guerre civile.

      C.G. La rue médiévale est aussi le lieu d’information et de transmission des décisions du pouvoir politique par les crieurs royaux et tout un personnel urbain affecté à l’information. Et les villes s’informent entre elles et savent très bien ce qui se passe ailleurs. L’affichage existe dès le Moyen Âge souvent sur les portes des églises, il est systématisé avec la création par François Ier d’un corps chargé des affichages dans les rues de Paris.

      Les efforts pour assurer la sécurité notamment sanitaire de la rue.

      C.G. Les épidémies ravageuses témoignent des mauvaises conditions sanitaires notamment en raison de la saleté mais aussi en raison des rivalités entre les juridictions, administrations, et seigneuries qui se chevauchent. Ainsi la place Maubert à Paris, place importante économiquement par la présence d’un marché et d’artisans, est réputée pour sa saleté : le roi et l’abbaye de Ste Geneviève veulent tous les deux se l’approprier. Il y a cependant des efforts pour aménager la voierie et les communes imposent des règlements, souvent répétés, pour interdire de jeter les immondices par les fenêtres, pour enlever le fumier et les détritus en dehors de la ville, pour empêcher les bêtes, particulièrement les porcs de divaguer.  A Paris, le roi essaie de mettre la main sur les grandes artères pour imposer son contrôle sur la voirie. Au Moyen Âge, les épidémies, la peste particulièrement, se propagent très vite aussi car la coutume est de rester en famille et de mourir entouré de ses proches. C’est aux 14ème – 15ème siècles qu’on commence à comprendre timidement l’intérêt du confinement et celui de fermer les portes des villes en cas d’épidémie.

      D.T. Au 18ème siècle les progrès sont évidents quand, en abattant les murailles, la ville close s’ouvre, et qu’avec les Lumières un courant hygiéniste émerge et réfléchit à la circulation de l’air.  Nicolas Delamare dans son Traité de la police (en trois volumes 1717-1719), s’indigne que Paris soit un cloaque et met l’accent sur la propreté nécessaire.  Le choléra de 1832, les travaux de Rambuteau puis ceux d’Haussmann à Paris permettent l’accélération des progrès de l’hygiène en veillant à l’alimentation de la ville en eau potable et à l’évacuation des eaux usées par les égouts. En 1883, le préfet Poubelle transforme la physionomie de la rue en imposant le ramassage et même le tri des ordures. La période haussmannienne et immédiatement post-haussmannienne a véritablement transformé les rues et la ville dans de multiples domaines y compris dans le ravitaillement avec la construction de halles modernes.

      La rue, lieu d’expression culturelle.

      D.T On a évoqué l’effacement du mot « rue » au profit de la « street ». A partir des années 1960, le street art venu des Etats-Unis est une des formes de réappropriation de la rue.  La première exposition de ces nouveaux usages culturels de la rue, en rupture avec les normes et les usages convenus, a lieu à New-York en 1968. IL y a aussi tous les sports de rue (le skate, le roller), la street dance, mais aussi la street food…Toutes ces activités témoignent de la popularité grandissante de la culture de la street-rue, évidente volonté de casser l’ordre établi. Ces usages hors-normes, au début combattus, conduisent progressivement à une redéfinition de l’espace public et produisent des effets sur les conceptions urbaines.

      C.G. Au Moyen Âge, toute expression est très ordonnée :  il y a des enseignes, des sculptures religieuses, des bornes. En revanche, le spectacle envahit la rue : montreurs d’ours, jongleurs, manifestations parfois très grivoises des charivaris, du carnaval, des processions, toutes faites à la fois de ritualité et de spontanéité. Quelques scènes de théâtre peuvent être montées aussi dans la rue.

       

      Interventions de la salle :

      Trois remarques d’un géographe qui applique à la rue, la méthode de la géohistoire chère à F. Braudel réutilisée par Ch. Grataloup.  La rue a une topographie (sa forme, sa longueur, sa largeur), mais la place sous ses diverses formes (place de grève, du marché, parvis de la cathédrale…) mérite aussi une réflexion. Par ailleurs dans la temporalité courte et moyenne, il est intéressant de distinguer ce qui se passe le jour et la nuit, l’été et l’hiver, en temps ordinaire et temp festifs. Enfin, l’étude des noms de rues, l’odonymie qui a fait l’objet d’un café de géo ( [https:]] ) est aussi un objet d’intérêt.

      D.T. fait remarquer que les places, surtout les places royales à l’époque moderne sont largement étudiées dans l’ouvrage.

      La rue : lieu d’insécurité ? Quelle place pour les piétons ?

      C.G. La rue peut faire peur mais le sentiment d’insécurité n’est pas forcément rattaché à la rue. Au Moyen Âge la police est indigente (200 sergents à Paris).  On a peur du viol, du meurtre, de l’homicide. Les viols, certainement nombreux mais difficiles à évaluer, sont des crimes punis mais peu déclarés. Ils concernent peu les « femmes d’honneur », davantage les servantes et encore plus les pauvres. La rue, notamment la nuit peut être un coupe-gorge. L’éclairage public n’arrive tardivement qu’au 19ème siècle en raison de la fréquence des incendies.

      D.T. La « mort de la rue » préconisée par Le Corbusier avec les grands ensembles et l’urbanisme sur dalles (remis en cause dans les années 1970) puis les esplanades, créent des conditions de circulation et de sociabilité différentes.   Dans le retour récent de la rue-street , le rôle des politiques présidentielles a été essentiel. V. Giscard d’Estaing a mis un terme aux grands travaux et projets de Pompidou en faveur de l’automobile, notamment à la radiale Vercingétorix qui devait enjamber Paris.  Giscard D’Estaing mais aussi   Mitterrand, avec Jack Lang, ont développé une politique volontariste dans la redéfinition des usages de l’espace public notamment à l’occasion des fêtes.  Les Champs-Elysées « voie sacrée » deviennent un espace festif, en accueillant le Tour de France à partir de 1975 et autres les sportifs (joueurs de foot) ; les nuits blanches à partir de 2002, la fête de la musique le 21 juin font repenser le rapport jour/nuit.

       

      *Histoire de la rue, de l’Antiquité à nos jours, s.d Danielle Tartakowsky avec Joël Cornette, Emmanuel Fureix, Claude Gauvard, Catherine Saliou, éditions Tallandier, 2022

       

      Compte rendu de Micheline Huvet-Martinet, relu par Claude Gauvard et Danielle Tartakowsky    décembre 2023

    • sur Les centres militaires d’essais français au Sahara

      Publié: 16 December 2023, 2:37pm CET par r.a.

      Les trois principaux centres militaires d’essais, objets du présent article, étaient situés en Algérie et apportèrent à la France des possibilités très intéressantes pour développer et mettre au point, après la Seconde guerre mondiale, son expertise spatiale et nucléaire. Nous passons en revue ce que furent leurs activités qui, conformément aux accords d’Evian de 1962, furent arrêtées entre 1965 et 1967.

      Le Centre Interarmes d’Essais d’Engins Spatiaux (CIEES)

      Dès 1946, l’Etat-Major français avait compris la nécessité de faire évoluer la stratégie militaire en y incluant l’espace et l’atome. La conquête de l’espace passa par la construction de missiles initialement inspirés par les V1 et V2 allemands. Mais, en parallèle à ces travaux, on suscita fin 1947 des vocations (surtout au sein des régiments et écoles d’artillerie) pour constituer les premières sections appelées à aller servir trois ans, sans retour en métropole, à… (secret militaire) ? Ce fut à Colomb-Béchar.

      Cette ville était déjà correctement desservie par deux voies ferrées, une piste allant jusqu’à Kenadza (mine de charbon), une piste d’aviation en terre puis ensuite en béton pour les avions à réaction civils et militaires. Soit tout un ensemble propice aux exigences d’installation d’un centre militaire : éloignement, isolement, secret, facile à défendre.

      L’Etat-Major y a retenu 3 zones pour installer 3 champs de tir qui disposeront chacun, à terme, de leur terrain d’aviation : Béchar, pour les essais type V1 et Air-Air ; Ménouar, à 70 kilomètres au sud, pour les tirs de petites et moyennes fusées ; Hammaguir, à 120 kilomètres au sud, destiné aux gros engins.

      Les premiers tirs sont effectués fin 1948 à Béchar, où une première logistique de suivi des engins a été mise en place. Mais ces engins sur rampe sont encore mal maîtrisés et l’un d’eux explosera au décollage (1 mort, 1 blessé grave). Les conditions initiales de vie et de travail étaient dures et pas les meilleures pour développer ce nouvel aspect des armes françaises. Mais le CIEES eut la chance d’avoir pour chef le Colonel Michaux, homme très exigeant pour lui-même comme pour ses hommes. Il est vraiment celui qui a permis au CIEES de se construire et de « décoller ».

      A Ménouar, on testa des fusées à propergols liquides. Elles conduiront à la définition du 1er étage de la fusée Diamant, qui mit en orbite le 26 novembre 1965 le premier satellite français (Astérix A1).

      La base d’Hammaguir, opérationnelle en 1952, comprenait 4 aires de lancement : 2 pour les fusées sondes (type Véronique), 1 pour les missiles sol – air et 1 (Brigitte) pour les gros engins comme le 4200 (à propergols solides) d’une portée de 120 kilomètres ou le 4500 dont un vol, prématurément interrompu par une panne technique, causa dans son vol erratique une grande frayeur à des spectateurs qui n’avaient pas respecté les consignes de sécurité.

      Aire de lancement de la fusée Diamant

      Conformément aux accords d’Evian, les 3 bases de Colomb-Béchar furent transférées à l’Algérie en 1967, après 4 lancements réussis de la fusée Diamant entre 1965 et 1967. Le relai fut assuré par le CEL (Centre d’Essais des Landes) pour les engins militaires et Kourou, en Guyane, pour les lancements de satellites par les fusées Ariane.

      Le Centre saharien d’expérimentations militaires de Reggane (CSEM)

      Le 18 octobre 1945 le général de Gaulle avait créé le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA). La décision d’accéder au nucléaire militaire est prise le 5 décembre 1956. Le Groupe mixte des expérimentations nucléaires, présidé par le général Ailleret, choisit le 10 mai 1957 une zone de 108 000 km2 au sud-ouest de Reggane, qui est alors classée terrain militaire. Les raisons de ce choix ? « …l’absence totale, je dis bien totale, de vie animale ou végétale…Il apparaissait clairement que ce serait l’endroit idéal pour y faire des explosions nucléaires sans danger pour les voisins, puisqu’il n’y en avait pas…l’absence de vie était bien entendu l’élément essentiel en faveur du choix de ce site… ». Ces propos du général Ailleret prêtent aujourd’hui à sourire car nous savons tous que les nuages radioactifs ne restent pas stationnaires au-dessus du site d’explosion mais s’en vont quelque fois très loin !

      Les travaux d’aménagement commencent fin 1957. Le commandant du Centre et les familles civiles logeront à Reggane-Ville tandis que le base vie (Reggane-Plateau) rassemblera plus de 1 500 personnes (militaires des trois armes, civils du CEA, de la DAM, des entreprises de construction…ainsi que la main d’œuvre locale) (cf. note 1). Tous les services nécessaires y sont progressivement installés. Les transports aériens utilisent plusieurs aérodromes provisoires avant que le définitif, avec sa piste de 2 400 mètres, n’entre en service en mai 1958.

      Porte de l’Enfer

      Dès son retour aux affaires en 1958, le général de Gaulle assure une priorité absolue à l’entreprise en disant que la bombe atomique sera « un moyen politique de s’asseoir à la table des Grands ». La DAM (Division des Applications militaires) est créée le 12 septembre 1958.

      Pour les tirs, les postes de commandement de l’armée et du CEA sont installés à Hamoudia, à 45 km au sud-ouest de Reggane-Plateau. Le champ de tir lui-même se situe au sud d’Hamoudia. Le Point Zéro (PZ) en est à 16 km. C’est là que seront érigés les pylônes de 106 m, supports des engins expérimentaux. A 900 m du PZ, les caméras et instruments de mesure se trouvent dans un très grand blockhaus en béton. En complément, 9 points d’observation (M01 à M09) disposent d’instruments enterrés dans des caissons.

      En 1959, 4 avions Vautour sont transformés en version PP (prélèvement poussières) par adjonction sous l’aile gauche d’un bidon tronqué dont l’entrée comporte une tuyère de prélèvement, ouverte par le navigateur lorsque l’avion traverse le nuage de l’explosion. Ces avions ont été rendus étanches. Leur pressurisation, assurée normalement par prélèvement d’air au niveau des compresseurs des réacteurs l’est ici par emploi de bouteilles d’air comprimé, afin d’éviter toute entrée dans l’appareil d’air contaminé.

      En complément à ces 4 Vautour, un Mistral télécommandé effectue un travail similaire grâce à une tuyère fixée sous son aile droite. Au sol de nombreux dispositifs sont mis en place pour tester les effets souffle et chaleur des bombes. Après chaque tir, les avions PP ayant traversé le nuage subissent une décontamination totale par aspersion d’eau sous pression. Les équipages sont soumis à des douches abondantes.

      Les appareils et équipements tests passifs, après examen de leur état et de leur contamination, sont enterrés. Les essais suivants auront lieu à In Eker, qui fut préparé parallèlement à l’utilisation de Reggane. Le CSEM restera militairement occupé jusqu’en 1967, en vertu des accords d’Evian. Dans le cadre de mes fonctions à In Amguel, je me suis rendu plusieurs fois à Reggane en 1964. L’essentiel du dispositif était constitué par un détachement de la Légion (4ème REI). Il y avait aussi une compagnie de l’Infanterie légère d’Afrique (les Bat’d’Af), quelques éléments de l’armée de l’air pour le fonctionnement de l’aéroport et des services d’intendance.

      Le Centre d’expérimentations militaires des oasis à In Amguel (CEMO)

      Le CEMO prend la suite du CSEM. Sa création a été lancée en parallèle avec celle de Reggane, afin de remplacer les essais aériens, aux retombées très critiquables, par des essais souterrains a priori « inoffensifs », mais également pour éviter trop de problèmes politiques avec les pays voisins de l’Algérie, mécontents des risques liés aux essais aériens. La structure du CEMO est donc similaire à celle du CSEM et les problèmes à résoudre sont les mêmes : création d’un aérodrome, approvisionnement en eau et électricité, ravitaillement d’une population importante, etc.

      Le site retenu est le massif granitique Taourirt Tan Affela, situé à environ 180 km au nord de Tamanrasset, près de l’ancien bordj militaire d’In Eker.

      Vue aérienne du massif Taourirt Tan Affela

      La base vie principale est créée à quelques kilomètres au nord de l’oasis d’In Amguel. Elle n’abrite que des militaires, les civils (essentiellement du CEA et de la DAM) étant logés plus au nord, à proximité d’In Eker. Au total ce seront parfois près de 9 000 personnes qui seront présentes lors des expérimentations (2 500 militaires, 4 000 civils et 2 500 PLO). (cf. note 2)

      Le tableau ci-dessous situe les 13 essais souterrains réalisés à In Amguel.

      La bombe était déposée au fond d’une galerie en spirale de 800 à 2 000 m de longueur, apte à contenir la radioactivité résultant de l’explosion. Un seul essai (Béryl) fut défaillant : le 1er mai 1962 les bouchons de la galerie ne résistèrent pas au choc et un nuage radioactif se répandit en direction de la base vie, créant une grande panique et obligeant de très nombreuses personnes – dont le Ministre des Armées Pierre Messmer, présent ce jour là – à passer à la douche ! Cet incident entraina une surveillance accrue de la structure de la montagne et, avant un nouveau test, toute faille suspecte au-dessus de la galerie était cimentée par précaution.

      Schéma type d’une galerie

      Mais Béryl laissa aussi des traces au sol. Une zone dite contaminée fut délimitée. Elle était bien sûr interdite d’accès, sauf pour ceux qui, comme moi, y allaient régulièrement pour mesurer la radioactivité et éliminer les pierres radioactives que l’on pouvait y trouver.

      L’un des problèmes, pour les concepteurs, était de mesurer la puissance de la bombe. De nombreuses méthodes furent testées. L’analyse des ondes sismiques en fut une. Mais il y eut aussi la boucle du Professeur Rocard (Père de Michel Rocard) : une boucle de 1 km (?) de diamètre, posée à même le sol, où l’on mesurait le courant induit par la variation du champ magnétique terrestre après l’explosion.

      Les bases d’In Amguel et d’In Eker ont été fermées en 1965, lors du transfert des expérimentations dans le Pacifique. On dit que les matériels contaminés lors de la fuite Béryl ont été sommairement enterrés. Vrai ? faux ? je ne le sais pas. En 1969 le Sous-préfet de Tamanrasset m’a dit qu’il disposait d’une carte les localisant. Mais certains journalistes, encore aujourd’hui, se font régulièrement l’écho de demandes algériennes de réparations financières pour soigner des victimes locales, dont les dossiers n’ont jamais été présentés.

      Notes :

      (1) Cette main d’œuvre locale fut baptisée PLBT (Population laborieuse du Bas-Touat) en évocation, parait-il, de la contrepèterie sur les « Populations laborieuses du Cap ».

      (2) Après les PLBT de Reggane, on eut les PLO (Populations laborieuses des oasis) à In Amguel. Leur nom fut vite déformé et, à mon arrivée en 1964, j’entendis parler des Pélots et de leurs femmes les Pélotes. Je crus alors qu’ils venaient d’une tribu touarègue ainsi nommée.

      (3) L’auteur, Marcel Cassou, fut officier en 1964 à In Amguel au titre du CERAM (Centre d’Etudes et de Recherches Atomiques Militaires), avec supervision de certaines installations de Reggane. En 1965 et 1966 il participa à plusieurs campagnes de tirs à Hammaguir (missiles de la force de frappe).

      Bibliographie : de nombreux documents sont disponibles sur internet. Soulignons l’apport du rapport d’Yvon Chauchard sur le CIESS (1948-54) et des diaporamas de Pierre Jarrige sur le CSEM et le CEMO.

      Toutes les illustrations sont publiées avec l’aimable autorisation de Pierre Jarrige. Elles sont extraites de ses diaporamas sur l’armée française en Algérie.

      Marcel Cassou, décembre 2023 (cf. note 3)

    • sur Les Cafés géo ont 25 ans.Rendez-vous dans 25 ans. En 2048.

      Publié: 12 December 2023, 1:58pm CET par r.a.

      Utopie ? Dystopie ? Difficile de choisir pour imaginer ce que nous pourrions être dans un quart de siècle. Car en 1998, nous n’aurions pas imaginé les centaines de Cafés géo qui se sont réunis à Paris et ailleurs. Nous n’aurions pas imaginé les voyages, poussés par la curiosité de quelques-uns d’entre nous, des voyages-cultes notamment sur une… des très antiques Routes de la Soie.

      Nous n’aurions pas pensé qu’ils se seraient installés dans le paysage des géographes, lorsqu’on veut débattre, se retrouver, se confronter, diffuser des savoirs. Les cafés tels que nous les pratiquons sont nés au 18e siècle. Jean-Sébastien Bach y écrivit et y jouait une Cantate du café dans le célèbre Café Zimmermann de Leipzig. Un siècle plus tard, le géographe allemand Frédéric Ratzel a pu imaginer que ces cafés pourraient aider les jeunes géographes à penser leur métier. Cent ans plus tard, l’idée germe en France lors d’un festival de géographie autour des bières allemandes, à Saint-Dié, là où des cosmographes inventèrent l’Amérique cartographiée pour la première fois au 16e siècle.

      Du « 1507 », bar historique de la Déodatie, ils migrent sur l’ancien forum romain de Lutèce, rue Soufflot en 1998 et s’installent sur Internet. Deux ans plus tard, les voici sur la place de la Sorbonne, au pied d’une chapelle baroque, où ils se mêlent aux touristes de l’Europe du Nord qui les chassent à l’heure du dîner. D’où la migration au Flore, ronflante adresse où l’on croisait encore à l’époque de célèbres grands couturiers, des stars du cinéma et de l’art, parce que cet antre des philosophes existentialistes offrait une belle salle dédiée aux débats à l’étage.

      De là, est né place de la Bastille, un café dédié à la géopolitique, qui, à son tour a migré dans le Marais. Des dizaines d’autres ont campé à Lyon sur la grande place louis-quatorzienne, à Metz, Annecy, Toulouse, Albi, Rouen, Reims, Lille, Orléans, Tours, Besançon, Clermont-Ferrand, Bordeaux, Chambéry, Pau, Bruxelles, Genève, Liège, Montréal, etc. et se sont tenu occasionnellement lors de rencontres de géographes à Washington, Mexico, San Paulo, Kyoto, Moscou, Le Cap, Abu Dhabi, Istanbul, Bologne, Lausanne, Varsovie… Les voici devenus Cafés « histoire » dans le quartier populaire de la très chic ville de Sceaux. Comme les hirondelles sur le fil, ils apparaissent, disparaissent, réapparaîtront sous d’autres formes en Afrique, en Océanie, au Groenland ou à la Réunion. Et qui ont-ils invité » ? Reclus plus que Vidal, et ils ont redécouvert la physique de la Terre avec Humboldt, adoré Lacoste et ses élèves.

      A Paris, l’écran a changé le Café qui a pu reprendre une forme doctorale. Sur les tables, la bière, l’eau minérale ou le vin ont été souvent préférés à la boisson noire. Les étudiants se sont serré la ceinture pour grimper sur l’addition mais ont pu se régaler à écouter un vieux ponte ou telle chercheuse sur des sujets parfois haut perchés…

      Demain ? On dit déjà que les écrans vont bientôt être remplacés par des implants oculaires bioniques. D’exocentriques, ils deviendront égocentriques. Ce qui est sûr : notre interprétation du monde se renouvelant à chaque génération, ils vont nous surprendre. On traque les dominations, les violences, les inégalités au fur et à mesure qu’elles augmentent, changent de forme, deviennent plus subtiles.

      En 2048, les Cafés géo ont 50 ans. Ils ont de nouvelles interfaces rétiniennes et neuronales, comme on visite une exposition avec le regard de quelqu’un d’autre, on peut voir, en archive, Delphine Papin imaginer la dernière carte de la guerre israélo-arabe qui s’est achevée le 14 mai 2048, centenaire de la création de l’Etat hébreu. On remonte, en séance virtuelle, sur le Haut-Karabakh avec Henry Jacolin dont ChatGPT aura reconstitué la voix pour comparer la situation qu’il a évoquée en 2023, vingt-cinq ans plus tôt.

      A moins que le changement climatique ruine la planète par des températures dignes du Rub al-Khali saoudien, qu’El Niño ait desséché l’Amazonie, accéléré la fonte des glaciers himalayens dont l’eau manque dans les fleuves asiatiques… Rien de tout cela est vrai comme il était impensable à la Révolution que les femmes ne meurent plus en couche, que les humains ont des robots qui les dispensent d’apprendre les langues étrangères et qu’ils peuvent désormais se nourrir sans agriculture. Mais, pour l’instant, on n’a pas montré qu’ils pourraient se passer de géographie. Alors ? Les Cafés géo sont toujours là pour peu qu’ils sachent dépasser les folies de leur jeunesse qui s’achève aujourd’hui.

      Gilles Fumey, 2 décembre 2023

    • sur Le Haut-Karabakh : la question des frontières dans le Caucase

      Publié: 9 December 2023, 1:35pm CET par r.a.

      Henry Jacolin et Micheline Huvet-Martinet (modératrice) Photo J.P.Némirowsky.

      L’Institut de géographie accueillait le 18 novembre 2023 Henry Jacolin (H.J), ancien diplomate, ambassadeur de France à Sarajevo pendant le siège ( [https:]] ), fin connaisseur de la géopolitique du Caucase puisqu’il a assuré, de 2002 à 2005, la médiation du conflit du Haut-Karabakh en tant que co-président  groupe de Minsk.


      Qui sont les Arméniens et les Azeris ?

      Les Arméniens, originaires de la région entre la mer Noire et la mer Caspienne se sont convertis très tôt au christianisme (dès 113 ap.J.C) faisant de l’Arménie le plus vieil Etat chrétien du monde.  Ils ont été disséminés au cours de leur longue histoire autour de différents foyers dont les frontières ont évolué au gré des conquêtes des empires Perse, Grec, Romain, Ottoman, et Russe. Quant au XIXème siècle l’empire russe s’empare progressivement de la totalité du Caucase au détriment de l’empire ottoman, les Arméniens ont tendance à remonter vers le Caucase, préférant à l’autorité ottomane celle du Tsar prétendu protecteur des Chrétiens. En 1914, il y avait 1,8 million d’Arméniens dans l’empire russe dont 700 000 dans la région d’Erevan et 2 millions dans l’empire ottoman, répartis dans toute l’Anatolie et au sud jusqu’en Cilicie.  Pour les Turcs les Arméniens sont une minorité encombrante et considérée comme une « cinquième colonne » qui mine la turcitude de l’empire. Les pogroms anti-arméniens ont été nombreux (ceux de1894-95, 1908 ont fait plus 25000 morts) avant le génocide de 1915, qui a fait de 1 à 1,5 million de victimes.

      Les Azeris de la Transcaucasie sont proches des Turcs et turcophones ; musulmans chiites, ils sont aussi présents en Iran où ils constituent une très grosse minorité de 15 millions (sur 80 millions d’Iraniens).

      La révolution bolchévique et la période soviétique (1917-1991).

      En mai 1918, le Caucase est partagé entre trois républiques qui déclarent leur indépendance : l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie. Dès ce moment l’Arménie et l’Azerbaïdjan s’affrontent à propos du tracé de leurs frontières du fait de l’enchevêtrement des populations. La nouvelle Turquie pan-turque de Mustapha Kemal rêve de faire la jonction avec l’Azerbaïdjan en supprimant l’obstacle de l’Arménie ce qui conduit les Arméniens à préférer se soumettre aux Bolchéviques qui proposent dès 1921 la reconnaissance de l’autonomie du Haut-Karabakh (signifiant en turc « le jardin noir »), petit territoire montagneux de 4400km2 très majoritairement peuplé d’Arméniens (89%), au sein de la république soviétique d’Azerbaïdjan. Cette proposition est validée par Staline en 1923 : ce statut d’autonomie restera inchangé pendant 65 ans. Se pose dès lors le problème du Nakhitchevan, province d’Azerbaïdjan peuplée d’Azeris mais géographiquement séparée (enclave au sein de l’Arménie).

      De 1923 à 1989, la situation est assez stable car l’ensemble de la région est administré par l’URSS et contrôlé par la police et les services secrets soviétiques ce qui malgré tout n’empêche pas des violences ponctuelles et récurrentes des deux côtés. La mémoire du génocide est restée vive en Arménie qui célèbre en 1965 à Erevan le cinquantenaire du génocide.

      Avec la politique de Glanost et la Perestroïka de Gorbatchev, les tensions se font plus vives entre les deux républiques. En juin 1988, le Haut-Karrabakh se déclare en sécession ; 500 000 Arméniens quittent l’Azerbaïdjan suite au pogrom de Soumgaït.

      La période post-soviétique est marquée par des tensions constantes et des guerres en 1991-94, 2016, 2020-21, 2023.

      Les deux républiques auto-proclament leur indépendance en aout et septembre 1991 alors que le Haut-Karabakh, soutenu par l’Arménie, proclame sa propre indépendance (non reconnue par la communauté internationale ni même par l’Arménie) chasse les Azeris et entre en conflit avec Bakou qui envoie des troupes.

       La guerre de 1991-94 : victoire de l’Arménie.

      L’Arménie soutient les séparatistes Karabaki, les opérations militaires opposent Bakou et Erevan qui dispose d’une armée alors bien supérieure. Cette guerre fait des dizaines de milliers de victimes et génère d’importants transferts de populations :  200 000 AzebaIdjanais habitant en Arménie quittent le pays, 700 000 Azeris ont été réfugiés et 520 000 sont chassés des territoires entourant le Haut-Karabakh occupés par l’armée arménienne qui procède à un véritable nettoyage ethnique détruisant les villages de façon à bien marquer que ceux-ci ne pourraient jamais revenir dans cette région. Le cessez-le-feu de mai 1994 ne règle rien et le problème kharabaki devient un « conflit gelé » ou plutôt pour H.J un « conflit non résolu ». La défaite de 1994 a été vécue comme une humiliation en Azerbaïdjan et a alimenté un nationalisme anti arménien très virulent.

      Pourquoi l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont eu recours à la guerre sans pouvoir régler diplomatiquement le conflit ?

      Plusieurs réponses à cette question. D’abord il s’agit d’un conflit entre deux droits : celui du respect des frontières héritées des accords d’Helsinki (1975) et celui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. La très grande méfiance entre les deux peuples culturellement différents est nourrie par le souvenir toujours présent chez les Arméniens du génocide de 1915. La situation géographique enclavée et le tracé des frontières de l’Arménie sont un obstacle à la continuité du monde turc : il s’agit bien d’un conflit territorial et non pas religieux. De plus, la Russie conformément à sa longue histoire préfère entretenir la conflictualité entre les peuples.

      De 1994 à 2020, début de la deuxième guerre, la tension est permanente, les incidents de frontières sont fréquents parfois violents comme en 2016 (« la guerre des 4 jours ») quand l’Azerbaïdjan de plus en plus ouvertement soutenue par la Turquie, parvient par des opérations militaires rapides appuyées sur des blindés et un armement lourd, à modifier la ligne de démarcation de 1994, témoignant ainsi des progrès considérables de son armée. En 2017 le Haut-Karabakh prend le nom de République d’Artsakh (hérité de l’ancien royaume d’Arménie).

      Henri Jacolin et le groupe de Minsk (2002-2005)

      Nommé en 2002 co-président du groupe de Minsk, avec un ambassadeur russe (Nikolaï Gribkov) et un américain (Rudolf Perina), H.J participe aux tentatives de règlement du contentieux Karabaki.  Fondé en 1992 sous l’égide de l’OSCE, le groupe de Minsk était ainsi nommé car la Biélorussie avait proposé de l’héberger mais il ne s’est jamais réuni à Minsk. Au moment de sa nomination (2002), il y avait bon espoir que « les principes de Paris » conclus sous l’égide de Jacques Chirac en 2001, conduisent à un accord. Pendant trois ans les trois diplomates travaillent en totale liberté et en harmonie réfléchissant dans un premier temps à la situation sur le terrain pour analyser les raisons de l’échec des négociations en vue de les reprendre. Ils s’aperçoivent vite qu’ils doivent jongler avec trois grilles contradictoires de lecture de la situation. En effet, d’un côté il fallait identifier clairement les problèmes à résoudre :  statut du futur Haut-Karabakh, retrait par l’Arménie des territoires occupés et leur reconstruction, retour dans leurs villages des déplacés Azéris, liaisons entre l’Arménie et le Haut-Karabakh mais aussi entre l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan, normalisation des relations Arménie-Azerbaïdjan avec garanties de sécurité pour les deux Etats.  La deuxième grille faisait apparaitre deux méthodes opposées de négociation : l’Arménie qui maitrisait alors le terrain, exigeait une reconnaissance définitive du statut du Haut-Karabakh avant tout retrait des zones occupées alors que l’Azerbaïdjan qui redoutait une « chypriotisation » de la situation, voulait une négociation étape par étape. La troisième grille mettait en évidence deux conceptions opposées du temps : l’Arménie était convaincue de la pérennité de sa supériorité militaire alors que l’Azerbaïdjan, forte des ventes de son pétrole, était alors en capacité de financer le développement d’une armée moderne.

      Entretien de Henry Jacolin avec Ilham Aliyev, président d’Azerbaidjan, septembre 2004, ds magazine Gömrükcü

      En 2003, les trois diplomates parviennent à rétablir les relations entre les deux Etats et organisent trois rencontres entre les deux Présidents ainsi que des rencontres régulières entre leurs ministres des Affaires étrangères (Elmar Mammadierov pour l’Azerbaidjan et Vartan Oskanian pour l’Arménie). En 2004 quatre rencontres toutes les cinq semaines sont organisées. Ceci permet de revisiter, en les contrôlant, tous les paramètres de la négociation, tenant compte des lignes rouges de chaque pays, alors que sur le terrain des observateurs militaires de l’OSCE veillaient au maintien du calme. Si l’Azerbaïdjan maintient ses positions, celles de l’Arménie évoluent alors acceptant de se retirer des territoires occupés en échange d’un statut pour le Haut-Karabakh, d’un référendum et de la mise en place de garanties de sécurité. Les diplomates insistaient auprès des deux présidents sur le fait que le temps jouait contre eux mais le message passait mal tant à Erevan qu’à Bakou pour des raisons de politique intérieure mais aussi en raison de l’énorme méfiance entre les deux protagonistes convaincus chacun de la mauvaise foi de l’autre. Le président arménien Kotcharian, originaire du Haut-Karabakh, n’avait guère la culture de la négociation et que le Président d’Azerbaïdjan Aliyev restait sur ses positions et cherchait à gagner du temps, chacun étant très soucieux de tenir compte de son opinion publique ; c’est pourquoi, les trois diplomates, lors de leurs voyages à Erevan ou à Bakou, prenaient bien soin de réunir ou recevoir la presse et, les milieux d’affaires pour expliquer le cours des négociations. Les trois diplomates qui rendaient régulièrement compte de l’évolution de la situation à leurs autorités de tutelle respectives et à l’OCSE prirent conscience qu’ils sous-estimaient la force des revendications nationalistes dans les deux Etats.
      L’originalité de l’accord finalement concocté (mais non validé) tenait dans sa capacité de se mettre en place progressivement, commençant par le retrait des Arméniens par étapes des territoire occupés. Ce caractère évolutif permettait aux opinions publiques d’évoluer positivement, constatant les progrès engagés. Néanmoins, au final le groupe de Minsk n’est pas parvenu à empêcher le retour de la guerre.

      Carte reproduite avec l’aimable autorisation du journal Le Monde [https:]]

      La 2ème guerre (2020-21) : la revanche de l’Azerbaïdjan

      De violents affrontements éclatent en septembre 2020 entre les forces azerbaïdjanaises et les séparatistes soutenus par l’armée arménienne qui recule et perd une partie des zones tampon. Un cessez-le-feu immédiat est proclamé mais quelques mois plus tard, la guerre reprend dans un contexte régional modifié par l’échec des négociations, par l’entrisme de la Turquie pour s’affirmer contre la Russie (par rapport aux opérations alors menées en Syrie), par le comportement assez trouble et méfiant de la Russie envers l’Arménie depuis la révolution de velours de 2018. La Russie s’affirmait l’alliée de l’Arménie davantage contre la Turquie que contre l’Azerbaïdjan. A noter enfin l’attitude de l’Iran préoccupé par la possible contagion des revendications séparatistes dans sa minorité Azéri.

      Les opérations militaires sont rondement menées par Bakou qui mène une offensive en juillet 2021 au nord près du gazoduc sud Caucase (Bakou-Erzurum) le long de la ligne de démarcation. La capitale Stepanakert est bombardée et des opérations sont menées sur les zones tampon avec des drones fournis par la Turquie alors que l’armée arménienne réplique par des bombardements sur Gandja à proximité du gazoduc.  A l’automne plusieurs cessez-le-feu obtenus par Poutine du 9 octobre au 29 novembre sont nécessaires pour stabiliser la situation et obliger les deux ennemis à négocier.  L’Azerbaïdjan, avec le soutien turc, contrôle la zone frontière le long de l’Iran. La reprise de Choucha permet le contrôle du corridor de Latchin, reliant l’Arménie au Haut-Karabakh placé sous un quasi protectorat russe. La rétrocession de la région d’Agdam est une faiblesse par les creux constitués sur la ligne de démarcation.  Poutine obtient de placer une force militaire russe d’interposition de 2000 hommes pour sécuriser les positions.  L’Arménie se voit imposer l’obligation d’offrir à l’Azerbaïdjan une voie d’accès sécurisée par les Russes vers le Nakhitchevan.

      Le bilan est clairement en faveur de l’Azerbaïdjan qui a su, avec le soutien turc, transformer sa victoire militaire en victoire politique. La Turquie et la Russie s’installent comme des puissances régionales incontournables alors que l’Arménie qui a fait sa révolution démocratique, reste vassale de Moscou. Le groupe de Minsk et l’OSCE ont échoué dans leurs médiations.

      2022- 2023 : la 3ème guerre.

       En 2022 la guerre continue. Après avoir lancé des offensives au sud dans la région de Syunik saisissant quelques territoires arméniens (200km2) proches de l’Iran, Bakou bloque le 12 décembre 2022 le corridor de Latchin mettant en état de siège les 120 000 habitants du Haut-Karabakh qui seront ensuite chassés de leur territoire en deux jours suite à une opération militaire éclair menée le 19-20 septembre 2023. Le 23 septembre la République du Haut-Karabakh s’autodissout et proclame que « toutes les institutions gouvernementales et organisations seront dissoutes au 1° janvier 2024 ».  Fin de la partie.

      Conclusions de cette longue aventure du Haut-Karabakh et de cette guerre éclair de 2023.

      H.J s’intéresse aux acteurs politiques et note que les dirigeants du Haut-karabakh ont tous été des vétérans de la première guerre de 1994, couvés par les services de renseignement russe. Ils ont fait preuve d’une certaine hubris en se montrant très intransigeants : ils ont refusé sept plans de paix successifs, provoquant même parfois des tensions avec Erevan. Ils ont cru que la victoire de 1994 leur assurait à jamais la supériorité témoignant ainsi d’une certaine myopie face à la montée en puissance des forces militaires de Bakou financées par la vente des hydrocarbures.

      La France n’a pas bougé même si elle a récemment proposé des armes à Erevan pour assurer sa sécurité. La Russie a toujours cherché, selon son habitude à maintenir un faible niveau de conflictualité pour mieux tenir en main la situation. Le conflit a permis à l’entente entre la Russie et la Turquie de s’affirmer sur le dos des Occidentaux.  L’Arménie est maintenant directement menacée de devoir céder à Bakou sa région méridionale qui permettrait à l’Azerbaïdjan d’établir la jonction avec le Nakhitchevan.

      Questions de la salle.

      Comment se font les liaisons entre l’Azerbaïdjan et Le Nakhitchevan ?  Il n’existe actuellement pas de route qui passerait par Meghri. La topographie à l’ouest permettrait de construire une route en plaine mais à l’est de Méghri le relief de hautes montagnes imposerait la construction d’une route de corniche. De ce fait, la jonction s’établit en passant par l’Iran à raison du passage de plusieurs dizaines de camions par jour. Il n’y a donc pas de problème de transit sur le terrain, le réel problème est la volonté de l’Azerbaïdjan d’obtenir un corridor de souveraineté à travers l’Arménie dans la province méridionale de Syunik.

      Pourquoi la France est-elle plutôt pro-arménienne ? Il y a plus de 100 000 français d’origine arménienne en France qui a condamné le génocide de 1915.

      Quels sont les objectifs d’Erdogan dans la région ? Clairement au nom de la turcitude, il s’agit de faire la jonction avec tous les peuples de Basse-Asie centrale anciennement soviétique qui sont turcophones à l’exception du Tadjikistan.  Dans un premier temps (vers 2000), il s’agissait surtout d’objectifs économiques mais plus récemment les objectifs politiques ont pointé.

      Quelles sont les relations Iran-Arménie ?  Elles sont très bonnes et les Russes sont très intéressés à ce qu’elles le restent car ils peuvent ainsi établir des liaisons plus facilement pour entretenir le trafic de transit (notamment la livraison des drones iraniens utilisés contre l’Ukraine).

      Quelle est la position de la Chine et de l’Inde dans ce conflit ? Aucune de ces puissances ne sont réellement présentes dans la région ; elles n’ont pas manifesté pour le moment de réel intérêt dans ce conflit.

      L’Arménie n’a-t-elle pas été trop naïve vis-à-vis de son allié russe ? La Russie s’est montrée très molle dans son soutien de l’Arménie surtout après la révolution de velours de 2018, restant méfiante envers le processus de démocratisation en cours en Arménie. Elle préfère laisser le conflit en l’état ; diviser pour régner.

       

      Compte rendu rédigé par Micheline Huvet-Martinet, relu par Henry Jacolin, décembre 2023

    • sur La carte, objet éminemment politique. Maduro modifie la carte officielle du Venezuela pour y inclure l’Essequibo

      Publié: 6 December 2023, 6:16pm CET


      Suite au référendum du 3 décembre 2023 qui a remporté 95% de « oui », le Venezuela a partagé une nouvelle carte officielle qui intègre le territoire de l'Essequibo. Ainsi le président chaviste Nicolás Maduro officialise l'annexion des 2/3 du Guyana voisin. Le territoire de l'Essequibo, riche en pétrole et en minerais, est convoité de longue date par le Venezuela. Cette annexion intervient dans un contexte de fragilité politique du régime de Maduro qui trouve là un exutoire au mécontentement grandissant dans un pays rongé par l'inflation et la corruption.
      Le président du Venezuela, Nicolás Maduro, montre une carte de son pays incluant la région guyanaise de l'Essequibo, lors d'une réunion à Caracas, le 5 décembre 2023 (source : ©AFP)

      Maduro brandit la nouvelle carte du Vénézuéla avec l'Essequibo annexé dans un acte du Conseil fédéral du gouvernement et du Conseil de défense le mardi 5 décembre 2023. « J'ai immédiatement ordonné de publier la nouvelle carte du Venezuela avec notre Guayana Esequiba et de l'apporter dans toutes les écoles, lycées, conseils communautaires, établissements publics, universités et dans tous les foyers du pays. C'est notre carte bien-aimée ! » 


      1) Un conflit frontalier qui remonte à plus de 150 ans

      Le Guyana affirme que la frontière entre les deux pays a été fixée en 1899 par un tribunal d'arbitrage. Pour le Venezuela, le fleuve Essequibo est la frontière naturelle entre les deux pays depuis 1777. Le Venezuela affirme que la frontière « naturelle » avec le Guyana est formée par le fleuve Essequibo, et non par la ligne Schomburgk, tracée en 1844 et présentée en 1886 par le Royaume-Uni comme la frontière internationale. En 1899, l’arbitrage des Etats-Unis aboutit à des concessions bilatérales permettant une démarcation, mais aussi à la perte pour le Venezuela d'un territoire d'environ 160 000 km², et de plus de 200 kilomètres de côtes ouvertes sur l'Océan Atlantique, ce qui n’allait pas être sans conséquence par la suite du point de vue du droit maritime et de l’exploitation des ressources.

      Le territoire tient son nom du fleuve Essequibo qui dérive du nom de Juan de Esquivel, un officier de Diego Colomb, fils aîné de Christophe Colomb et héritier de la couronne de vice-roi, qui explora la région pendant les premières décennies du XVIe siècle. L'Essequibo fait partie intégrante du Venezuela depuis son indépendance en 1811. Mais en 1840, profitant des difficultés du jeune État à contrôler ses frontières, le Royaume-Uni s’approprie la région et l'annexe à sa colonie guyanaise. Une annexion jamais reconnue par le Venezuela (source : Wikipedia). 

      Le conflit frontalier s'est réactivé au moment de l'indépendance de la Guyane britannique en 1966. Malgré des tentatives d'arbitrages successifs (signature de l’Accord de Genève, dont le contenu favorise la recherche de solutions mutuellement satisfaisantes pour le règlement pratique du différend), aucune solution n'a pas être trouvée au niveau international. Si la question de l'Essequibo fait aujourd'hui l'objet d'un large consensus au Venezuela, elle rencontre une vive opposition de la part du Guyana anglais qui a déposé une motion auprès de la Cour internationale de justice de La Haye pour essayer d'empêcher le référendum d'annexion du 3 décembre 2023. 

      Le territoire de l'Essequibo revendiqué par le Venezuela (source : Wikipedia)


      2) L'Essequibo, une région riche en ressources naturelles

      Le territoire de 159 500 kilomètres carrés situé à l’ouest du fleuve Essequibo représente les deux tiers de la Guyane britannique et est également frontalier avec le Brésil. Il est riche en or, diamants, bois et pétrole : un désert vert au sous-sol chargé de ressources naturelles (gaz et pétrole, or, diamants, cuivre, bauxite, fer et aluminium). Il donne accès à une zone de l'Atlantique où du pétrole a été découvert en grande quantité, attirant l'attention du gouvernement du président vénézuélien Nicolás Maduro. En 2015, la compagnie ExxonMobil découvre un important gisement de brut au large des côtes de l’Essequibo. L’entreprise américaine préfère traiter avec le petit Guyana qu’avec le Venezuela socialiste. Le litige territorial resurgit. Il est à vif depuis qu’en août 2023, le Guyana a lancé un appel d’offres pour l’exploitation de plusieurs secteurs pétroliers dans l’Essequibo. En octobre 2023, la découverte d’un nouveau gisement de pétrole porte les réserves du Guyana à près de 11 milliards de barils. 

      Les observateurs évoquent « un nouvel émirat ». Après avoir augmenté en 2022 de 57,8 % – un record mondial –, le produit intérieur brut du Guyana devrait encore progresser de 38 % en 2023, selon le Fonds monétaire international. L'entreprise ExxonMobil, l’opérateur principal du projet d’extraction, prévoit qu’elle atteindra 0,8 million de barils par jour d’ici fin 2025. Le petit État d’Amérique latine extraira en 2025 près de 1 % de la demande mondiale (soit plus que le Koweit). Un pactole vers lequel se tourne Caracas. Le gouvernement vénézuélien affirme que le Guyana n'a pas compétence pour accorder des concessions dans les zones maritimes au large de l'Essequibo. Parmi les premières mesures, Maduro a autorisé la Petroleos de Venezuela Sociedad Anónima (PDVSA) et la Corporation vénézuélienne de Guyane (CVG) à créer les divisions PDVSA Essequibo et CVG Essequibo. Il a également ordonné l'octroi de licences d'exploitation pour l'exploration et l'exploitation du pétrole, du gaz et des minéraux dans le territoire annexé. En s'emparant de la région d'Essequibo, le Venezuela prend le contrôle d'une grande partie du champ pétrolifère appelé bloc Stabroek.

      Beaucoup se demandent pourquoi le Venezuela, déjà riche en pétrole, veut aussi celui de son voisin. Le Venezuela possède les plus grandes réserves de la planète, mais son industrie pétrolère est à genoux, conséquence de la mauvaise gestion, du sous-investissement, de la corruption et des sanctions économiques en vigueur depuis 2019 (après la réélection frauduleuse de Nicolas Maduro). Sa production a chuté de 3 millions de barils par jour jusqu'à moins de 400 000. Elle se maintient aujourd'hui péniblement à 750 000 barils quotidiens. La raison est liée aussi à la nature du pétrole du Guyana : plus facile à raffiner, il est rentable dès 35 $ le baril. Le projet s'inscrit dans le cadre plus large d'un nouveau front pionnier contrôlé par les pouvoirs publics dans le grand Est vénézuélien. Il pose la question des litiges transfrontaliers sur le plateau des Guyanes, enjeux géopolitiques à l’interface des mondes amazoniens et caribéens. Dans un article consacré aux Opérations offshore à proximité de frontières arbitraires, Ricardo Salvador De Toma Garcia met en évidence l'influence des acteurs de la géopolitique du pétrole dans les processus de négociation et de résolution des controverses sur la délimitation des frontières. Le cas de l'Essequibo est un bon exemple pour montrer les effets échelonnés de la distribution des concessions offshore dans des espaces maritimes non délimités, ces pratiques contribuant à reconfigurer les dimensions géopolitiques des controverses.

      Identification des secteurs de concessions offshore autorisés unilatéralement par le Guyana
      (source : Ricardo Salvador De Toma Garcia, 2023) 



      Pour appréhender le différend frontalier Venezuela-Guyana dans un contexte plus large, voir la carte des limites de ZEE au large des Guyanes proposée par le site Géoconfluences.


      3) Le référendum d'annexion et ses conséquences

      Le référendum organisé le 3 décembre 2023 a plusieurs finalités : réaffirmer les revendications du Vénézuela sur cette région, mais aussi renforcer le pouvoir de Maduro à un an des prochaines élections présidentielles. D'un point de vue géopolitique, la décision d'annexer l'Essequibo a une incidence sur tout le continent sud-américain, voire au delà. Le Venezuela entend profiter du soutien de la Russie à l'échelle internationale et desserrer la pression exercée par le groupe de Lima, hostile au régime socialiste de Maduro. Le Royaume-Uni pourrait lui-même réagir en soutenant la Guyanne britannique, tandis que la France pourrait à terme voir des répercussions sur le territoire de la Guyane française située à proximité. Le Brésil veut quant à lui éviter un conflit à sa frontière et la déstabilisation de la région. Le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva dit « ne pas vouloir de guerre en Amérique du Sud ». Les membres du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay) ainsi que le Chili, la Colombie, l’Equateur et le Pérou ont exhorté « les deux parties à dialoguer et à rechercher une solution pacifique afin d’éviter des initiatives unilatérales qui pourraient aggraver la situation ». La Chine, qui se fait rembourser ses crédits directement en pétrole par le Vénezuela, a demandé aux deux pays de résoudre leur différend « de manière correcte ». 

      De fait, le référendum de décembre 2023 vient entériner des revendications territoriales de longue date. Depuis 1999, le Venezuela affirme dans l'article 10 de sa constitution que « le territoire et les autres espaces géographiques de la République sont ceux qui correspondent à la Capitainerie Générale du Venezuela avant sa transformation politique initiée le 19 avril 1810, incluant les modifications résultant des traités et arbitrages non frappés de nullité ». Il s'appuie notamment sur une carte de la Capitainerie générale du Venezuela de 1777 ainsi qu'une carte de la Grande Colombie de 1890 incluant l'Essequibo. 

      En octobre 2020, le Ministère de la Planification du Venezuela a publié un manifeste qui rappelle l'argumentaire justifiant cette annexion. Intitulé "La Guyane et l'identité nationale", le texte expose tous les arguments en faveur des droits légitimes historiques du Venezuela et le résume en une phrase : « le soleil du Vénézuela se lève dans l'Essequibo » (sic). Le « Venezuela né dans l'Essequibo  » y est présenté comme une vérité historico-géographique. L'implantation de compagnies pétrolières transnationales est considérée comme « un plan de provocation soutenu et financé par Washington et les agences gouvernementales de la puissance américaine, notamment le Pentagone ». Les Amerindiens y font figure de peuple libertarien luttant contre le colonialisme. Le référendum prévoit d'ailleurs de leur accorder la citoyenneté vénézuelienne (pas plus de 125 000 personnes y vivent, soit 1/5 de la population guyanienne). Autant de propositions déjà mises en avant par l'ouvrage Un siècle de dépossession : l'histoire d'une revendication publié en 2003 par Pompeyo Torrealba, coordinateur du Mouvement National de Sauvetage de l'Essequibo, et que l'on retrouve également sur le blog La Guyana Esequiba.

      Revendication souveraine de la République bolivarienne du Venezuela. Essai de la Chaire Penser le socialisme
      (source : Guyana e identidad nacional, octobre 2020)

      La carte qui accompagne le manifeste du Ministère de la Planification d'octobre 2020 est quasiment la même que la nouvelle carte officielle exhibée par Maduro en décembre 2023. Les hachures ont été enlevées pour entériner l'annexion de l'Essequibo au Vénézuela.

      Nouvelle carte de la République bolivarienne du Venezuela à l'issue du référendum du 3 décembre 2023



      Selon les juristes guyaniens, le Venezuela n’a pas le droit de proclamer sa souveraineté sur les territoires de l'ancienne colonie du Guyana britannique, tels que définis par la Décision du tribunal arbitral de 1899. Les pays membres de la Communauté Caribéenne (CARICOM) et de l’Organisation des États des Amériques (OEA) ont rejeté le référendum vénézuélien. Selon ces organisations, la loi internationale est formelle : un état n'a pas le droit de saisir, d’annexer ou d’incorporer le territoire d’un autre état. Ce principe d'auto-détermination des peuples défendu par l'ONU n'a aucunement été respecté puisque le référendum ne visait qu'à consulter la population vénézuélienne sous la forme d'un quasi plébiscite pour justifier l'annexion.


      4) Quand la carte fait le territoire
      La carte officielle consacrant l'intégration de l'Essequibo comme 24e État de la République bolivarienne du Venezuela est disponible sur le site de l'Institut Géographique du Venezuela Simon Bolivar (IGVSB). On y trouve également la carte à l'origine de la réclamation "Notre Essequibo" ainsi qu'une nouvelle carte physique et politique du Venezuela.
      Une carte du Venezuela « sans hachures » avait été publiée en 2012 par l'Instituto Geographico de Venezuela avant même l'annexion officielle de décembre 2023, après une pétition présentée par les militants de l'époque devant les autorités de  l'IGVSB et avec le soutien des réseaux sociaux. Déjà en 1999, il existait une version officielle dont plusieurs exemplaires avaient été imprimés, qui incluaient également l'extension du Venezuela sur le plateau continental. En septembre 2023, le président Maduro s'est également livré à un exercice de communication à partir de cartes historiques pour démontrer la légitimité des revendications territoriales du Venezuela sur l'Essequibo. La première carte officielle du Venezuela avec le territoire annexé à l'ouest du fleuve Essequibo semble remonter à une carte de 1965 publiée à l'échelle 1:4 000 000 par le quotidien El Nacional (3 février 1965). A l'époque, il s'agissait déjà d'annexer ce territoire comme zone de bonification (voir le texte du "Rapport des experts vénézuéliens sur la question des frontières avec la Guyane britannique", 18 mars 1965)
      En 2015, le gouvernement du Guyana a protesté contre les noms de rues espagnols donnés par Google Maps, notamment en référence au héros de l’indépendance latino-américaine Simon Bolivar, idolâtré par le gouvernement vénézuélien. Depuis certains noms de rues semblent avoir été modifiés. De manière générale, le service de cartographie de la société américaine ne souhaite pas se mêler du conflit concernant l'Essequibo. Le territoire est indiqué en lignes pointillées pour ne pas froisser les susceptibilités de part et d'autre. Comme dans d'autres conflits territoriaux à travers le monde, Google Maps prend parti en ne prenant pas parti. Une manière de laisser le territoire Essequibo comme à part des deux pays.
      Le territoire de l'Essequibo représenté en pointillé (source : Google Maps)

      Liens ajoutés le 15 février 2024

      Alors qu'il s'était engagé à trouver une issue pacifique au différend concernant l'Essequibo, le Venezuela est en train de concentrer des troupes près de la frontière avec le Guyana. C'est ce que montrent les images MAXAR analysées par le CSIS [https:]]
      8/n

      — Sylvain Genevois (@mirbole01) February 14, 2024

      Avec une carte ayant valeur de slogan "Venezuela Toda" qui inclut le territoire annexé de l'Essequibo et rappelle que « le soleil du Vénézuela se lève dans l'Essequibo »
      On retrouve cette carte schématique sous de nombreuses déclinaisons (drapeau, affiche, mosaïque...)
      10/ pic.twitter.com/Ygc3cf5Q3f

      — Sylvain Genevois (@mirbole01) February 15, 2024

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      Une story map pour découvrir le voyage d'Albert Kahn en Amérique du sud (1909)


    • sur Ingénieur Qualité

      Publié: 6 December 2023, 3:51pm CET par Isabelle Pelissier
      Ingénieur Qualité
      • 06/12/2023
      • Isabelle Pelissier
      Venez nous rejoindre..

      Nous recherchons dans le cadre de l’amélioration de notre processus “qualité logiciel”, un ingénieur tests et recette / QA : assurance qualité.

      Il ou elle vient renforcer les activités déjà existantes dans les 2 volets ci-dessous et a une connaissance des méthodes d’assurance qualité dans l’informatique. 

       

      Qui sommes-nous ?

      GEOMATYS est un éditeur de logiciel qui développe depuis 18 ans des produits et des nouveaux systèmes d’informations permettant de traiter l’information géographique.

      Notre activité d’édition logicielle nous conduit à développer des bibliothèques dédiées au traitement de gros volume d’information géographique, des Geo-Webservices et des frameworks cartographiques, que nous intégrons ensuite pour les besoins de nos clients.

      Nous sommes une société influencée par la forte culture technique de ses dirigeants, développant des projets innovants au service d’industriels et de scientifiques dans des domaines aussi variés que l’Environnement, le Spatial ou la Défense.

      Grâce à un travail reconnu en recherche et développement, notre société, GEOMATYS, a gagné une expertise qui lui permet de travailler de manière récurrente avec de grands comptes (Naval Group, Airbus, Le CNES ….).

       

      Activités

      1/ Tests

      • La surveillance de l’exploitation et de la qualité de la production via des métriques.
      • Participation au choix des outils pour l’automatisation des tests et analyse de code, 
      • Organisation des tests (UX/design, navigation, End To End, nouvelles fonctionnalités techniques, tests d’intégration et de charge, tests fonctionnels…). 
      • Maintien de la base de tests
      • Être force de proposition auprès des différents interlocuteurs sur les tests à mener.
      • Devenir le référent de l’équipe sur la mise en place des  tests.
      • Rédaction et suivi de l’application des procédures de tests (cahier de recette) pour les projets et produits de l’entreprise

      2/ Participation à l’activité Devops de l’entreprise

      • Automatisation des déploiements, scripting,
      • Garant du niveau de service de l’infrastructure et des activités de CI 
      • Mise en place de plateforme préproduction et production (CI/CD)

      Formation de niveau Bac +5 avec 1ère expérience

      • Master en informatique
      • Diplôme d’école d’ingénieurs

      Compétences souhaitées :

      • Connaissance des outils de test  et d’analyse statique et dynamique
      • Maîtrise d’outils pour des tests de charge
      • Maîtrise du langage Java et idéalement en C++
      • Maîtrise d’outils de script type Shell & LUA, notamment pour des tests techniques
      • Maîtrise de Docker, 
      • GitOps (Git, Gitlab), 
      • Maîtrise de l’anglais indispensable
      • Connaissance Bases de données 
      • Esprit d’analyse / Rigueur / Esprit méthodique / Capacité à travailler en équipe et sens de la communication 
      • Sens du service

      Si vous avez de l’enthousiasme, une appétence pour la cartographie / les problématiques spatiales, et une envie de travailler dans un domaine ultra-innovant,

      envoyez-nous votre CV (isabelle.pelissier@geomatys.com) Poste à pourvoir sur Montpellier

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      The post Ingénieur Qualité first appeared on Geomatys.

    • sur Atlas archéologique de la France

      Publié: 5 December 2023, 5:33pm CET


      Coédité par Tallandier et l'Inrap, l'Atlas archéologique de la France présente et répertorie en une centaine de cartes et de plans inédits plusieurs dizaines de milliers de fouilles archéologiques. Conçu par Dominique Garcia, président de l'Inrap, et Marc Bouiron, conservateur en chef du patrimoine, l'atlas met en perspective plus de 500 000 ans d’occupation du territoire hexagonal et ultramarin.

      Dominique Garcia, Marc Bouiron, (dir.), Atlas archéologique de la France, Paris, Tallandier, 2023, cartes d’Aurélie Boissière. Site de l'éditeur.

      Résumé

      Des milliers de découvertes surgissent sans cesse sous la truelle des archéologues. Les vestiges d’habitats, de tombes, de sanctuaires ou d’ateliers enrichissent notre patrimoine comme notre compréhension des sociétés passées. Jamais encore ces archives du sol, du Rhin au Finistère, de la baie de Somme à la Corse et dans les terres d’outremer, n’avaient été cartographiées et illustrées avec une telle ampleur. Page à page, nous explorons les strates archéologiques telles que chaque époque nous les a léguées. Cartes en mains, cet ouvrage nous emmène sur les sentiers de la préhistoire, nous montre les usages des femmes et des hommes du Néolithique, l’empreinte des Gaulois et de Rome, le Moyen Âge des fermes et des cathédrales, les traces de l’esclavage, les vestiges de notre activité industrielle et les marques laissées par la violence des guerres. Chaque objet, chaque pan de mur, chaque sépulture, chaque reste de repas mis au jour vient documenter le récit d’un million d’années et permet d’écrire une nouvelle histoire de la France.

      Les auteurs de Atlas archéologique de la France :

      Dominique GARCIA
      Professeur d’archéologie à l’université d’Aix-Marseille, Dominique Garcia est président de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Archéologue de terrain, il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages sur les sociétés protohistoriques de la Méditerranée nord-occidentale au Ier millénaire. 

      Marc BOUIRON
      Conservateur en chef du patrimoine, Marc Bouiron est directeur scientifique et technique de l’Institut national de recherches archéologiques préventives. Ses publications portent sur l’évolution urbaine des villes du midi de la France, de la protohistoire à la période moderne.

      Quelques extraits sur le site de l'INRAP :

      Pour aller plus loin :

      • Dominique Garcia présente l'Atlas archéologique de la France (INRAP)
      • L’archéologie mise en cartes, avec Marc Bouiron et Muriel Gandelin (Paroles d'histoire)
      • La France archéologique en cartes (Carbone14, le magazine de l'archéologie - France Culture)

      • la France archéologique comme on ne l'a jamais vue !
        " les marchands italiens transportent le vin dans des bateaux sur les voies navigables [...] et cela pour un prix incroyable: pour une jarre de vin, ils reçoivent un esclave" (Diodore)
        A découvrir dans: [https:]] pic.twitter.com/FzxLMGfUyE

        — carbone 14 (@LeSalonNoirFC) December 16, 2023

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    • sur prettymaps, des jolies cartes sans SIG

      Publié: 5 December 2023, 10:20am CET
      Prise en main du package Python 'prettymaps', un générateur de cartes artistiques et illustratives à partir d'une simple adresse, en utilisant les données OpenStreetMap et les bibliothèques osmnx, GeoPandas et matplotlib.
    • sur Le dessin du géographe

      Publié: 29 November 2023, 7:42pm CET par r.a.

      Un certain nombre de géographes dessinent  lors d’excursions sur le terrain ou de missions scientifiques. Certains en ont même fait une activité régulière, et en illustrent leur production. Mais cette activité demeure presque confidentielle. Beaucoup de dessins restent dans les tiroirs, n’ayant bénéficié que d’un regard furtif et admiratif des collègues qui jettent un coup d’œil sur le carnet. Rares sont les géographes qui comme Pierre Deffontaines en ont fait l’argument central d’un ouvrage (Petit Guide du voyageur actif, réed.1980 Presses d’Ile de France). Nous souhaitons sortir cette activité artistique et scientifique de cet anonymat.

      En même temps les dessins géographiques qui ont illustré les publications de nos prédécesseurs méritent d’être revus (et relus comme on le fait dans les recherches sur l’épistémologie de la  Géographie)

      Il conviendra alors de distinguer le croquis fait par le géographe sur le motif ou d’après nature, du croquis d’après photographie qui fut beaucoup pratiqué aussi longtemps que l’appareil photographique demeura lourd et encombrant. Le croquis du géographe professionnel diffère aussi du croquis à usage pédagogique des manuels de l’enseignement primaire et secondaire, croquis le plus souvent supervisé et contrôlé par un géographe.

      Le croquis à finalité géographique a changé de place au cours du temps. Les expéditions de découverte, de recherche scientifique, de conquête coloniale ont souvent été accompagnées par des artistes dessinateurs et ont produit des croquis qu’on peut considérer comme les premiers paysages géographiques, puisqu’ils avaient une finalité documentaire et qu’ils ont souvent été repris ensuite par les premiers ouvrages de géographie (cf les relations des voyages d’Alexandre von  Humboldt  ou les images de la géographie universelle d’Elisée Reclus,). Et les « pères fondateurs » de la science géographique, dans les écoles allemande, française, américaine, ont été parfois de bons dessinateurs sur le terrain.

      A la fin du XIX° siècle, quand se met en place l’enseignement de la géographie dans sa forme moderne, les manuels sont illustrés de nombreux dessins ; les photographies sont rares, pour des raisons techniques, dont la qualité de l’impression et du papier. Puis les photos élargissent leur champ au détriment des dessins.

      En même temps surgit avec Vidal de la Blache une géographie si soucieuse des paysages qu?elle en fait une des bases fondamentales de sa réflexion. La géographie est alors conçue comme une description raisonnée des paysages. Les paysages incitent au croquis. La prééminence de la géographie physique et à l’intérieur de celle-ci,  la domination de la géomorphologie encouragent alors l’usage du dessin et du bloc-diagramme dont de Martonne se fait le chantre et le propagandiste.

      Notre propos n’est pas de retracer une histoire du croquis géographique : cette histoire se construira d’elle-même chemin faisant. Elle est plutôt de sortir de l’oubli une pratique et de la raccrocher au devenir de la géographie, comme nous avons pu le faire par ailleurs pour la chanson des géographes. Enfin, la technique du croquis reste une pratique d’aujourd’hui et chacun des lecteurs peut proposer ses croquis, si leur esprit se raccroche à cette rubrique.

      Les carnets de terrain illustré à la main gardent leur séduction : l’édition et les expositions en témoignent. Si l’appareil photo numérique est devenu un outil quasi indispensable, les perfectionnements technologiques de ce dernier, ne lui confèrent pas la puissance analytique d’un croquis de terrain qui trie et hiérarchise les éléments du paysage : et aide à comprendre le monde avec  une feuille de papier et un crayon.

      Remarques importantes :

      *Le dessin de paysage (naturel, rural, urbain) proposé sur le site, sera accompagné d’un court commentaire, qui l’identifiera (auteur, date, lieu, site représenté, source) et le situera dans la production géographique de l’auteur en question : contexte, place du dessin dans l’analyse,  dans l’illustration du texte, des faits décrits…, afin de le resituer dans la production générale de dessins géographiques.

      *Chaque proposition devra se préoccuper des droits d’auteur et de reproduction de l’image sur le site des cafés géo : Les droits de l’auteur (propriété intellectuelle) s?éteignent  70 ans après sa mort (et jusque là leur édition dépend de l’autorisation des ayant-droit). Mais les droits de reproduction de l’image, liés à la source dont elle a été tirée (éditeur d’un ouvrage, musée, bibliothèque, archives, etc?) sont plus difficiles à connaître et souvent plus compliqués à obtenir.

      Roland Courtot, Michel Sivignon

      • Retrouvez également la liste des dessins du géographe

    • sur Le dessin du géographe n°95. Les ciels brésiliens d’Hercule Florence (1804-1879)

      Publié: 29 November 2023, 7:41pm CET par r.a.

      En France, son visage n’est connu de personne ou presque, sa maison natale à Nice n’est pas un musée, son existence n’a intéressé que quelques Monégasques qui lui ont consacré une exposition à la Villa Paloma en 2017. Au Brésil, l’Institut Hercule Florence n’a été créé qu’en 2006 à Sao Paulo. Pourtant, c’est un génial inventeur que l’Atlantique a séparé des savants de son temps. Cet isolement l’a privé d’une quelconque notoriété. Cet héritier des Lumières n’a eu de cesse, sa vie durant, d’inventer, de chercher des procédés pour améliorer la distribution de l’eau (noria permanente), le séchage accéléré des grains de café, le filage du coton, la reproduction d’écrits et d’images (découverte de la photocopie qu’il appelle « photographie »), l’écriture du langage des oiseaux, etc. Il souffre de l’ingratitude de ses contemporains comme en témoigne son journal : « Pourquoi ma vie n’est-elle qu’adversité ? Comment briser l’étau de l’isolement de cette lointaine province de l’empire sud-américain ? Parmi les milliers de documents, dont il est l’auteur, accessibles seulement depuis la fin du XXe siècle, figurent des dessins zoologiques, botaniques, ethnologiques et cartographiques. Dans cette œuvre graphique, nous avons choisi d’étudier les dessins de paysages célestes.

      Un « dessinateur », membre de l’expédition scientifique russe en Amazonie

      Fils d’un médecin militaire, également professeur de dessin, Hercule Florence est né à Nice en 1804. Son oncle et son grand-père Vignali furent peintres à la cour du Prince de Monaco. A 14 ans, Hercule rêve d’aventures et se fait embarquer sur une frégate. A 19 ans, il est apprenti dans la Marine royale. Et à 21 ans, il répond à une petite annonce vue dans un journal à Rio de Janeiro et parvient à se faire embaucher comme « géographe », deuxième dessinateur et chroniqueur de l’expédition scientifique amazonienne du baron Von Langsdorff.
      Ce baron hessois est un naturaliste, qui a déjà fait le tour du monde. Il vit près de Rio où il est chargé d’affaires du tsar Alexandre 1er et consul général de Russie au Brésil. Il est mandaté pour explorer le Mato Grosso depuis la région de Sao Paulo afin d’atteindre l’Amazone. Un projet un peu fou car le pays est politiquement instable depuis la récente indépendance de 1822. Pour cette campagne de prospection scientifique, il engage quarante personnes, dont des savants et deux jeunes dessinateurs : Adrien Taunay et Hercule Florence. Le baron achète aussi du matériel, dont sept embarcations et des mules. Toute l’équipe quitte Rio le 3 septembre 1825, longe la côte jusqu’à Sao Paulo et remonte vers le nord-ouest par le Rio Tieté. Tout va bien jusqu’à l’arrivée à Porto Feliz à 300 km de Sao Paulo, en octobre 1826. Mais ensuite, les embarcations chavirent dans les rapides, les hommes souffrent de la fièvre jaune… L’expédition parvient en janvier 1827 à Cuiaba, la capitale du Mato Grosso. Les hommes y passent un an car le baron est malade et sénile. Un groupe de morts-vivants finit par arriver le 1er juillet 1828 à Santarèm, là où le rio Tapajos se jette dans l’Amazone. Épuisés, les survivants embarquent sur un brick qui les ramène à Rio le 13 mars 1829. Les données recueillies lors de l’expédition sont envoyées à l’Académie impériale de Saint-Pétersbourg (objets, dessins, cartes, notes, graines, fruits, spécimens de bois, ossements, etc.). Le recensement du contenu des caisses et leur analyse devait donner matière à une publication, synthèse de l’expédition. Mais, Langsdorff ne peut s’en charger et tout est délaissé jusqu’à ce que les autorités soviétiques retrouvent les caisses en 1930. Aujourd’hui, une partie des objets rapportés est exposée au musée ethnographique de la ville.

      Après l’expédition, Hercule Florence revient à Porto Feliz. En janvier 1830, il épouse Maria Angelica, la fille du notable, Francisco Alvares Machado e Vasconcellos, futur gouverneur du Rio Grande do Sul. Machado possède une plantation de café à Sao Carlos (aujourd’hui Campinas), une petite ville de 6000 habitants. Le jeune couple s’y installe. Les inventions multiples pour alléger le travail des esclaves rendent les méthodes d’Hercule Florence très impopulaires dans la communauté des planteurs de la région, dont il fait partie en tant qu’héritier de la plantation de son beau-père. Trois ans après le décès de Maria Angelica, Hercule fonde une école à Campinas en 1863, avec sa seconde épouse Carolina Krug. Ce Colégio Florence est destiné aux filles. Il y enseigne des méthodes expérimentales de dessin comme l’emploi de l’huile de ricin dans la peinture à l’huile appelée cellographie, l’aquarellographie, la peinture solaire…

      Un « aquarelliste » d’arrière-plans célestes, au service de ses confrères

      Les dessins d’Hercule Florence les plus reproduits sont ceux de l’expédition : des spécimens de la flore et de la faune, des paysages de rivières et leurs rapides, des forêts, les coutumes des indiens Apiacas observés en 1828. Moins connues, sont les images des activités rurales (l’élevage bovin, les cultures sur brûlis, les champs de café ou de canne à sucre) et du travail de transformation des produits agricoles. Elles datent de son installation à Campinas.
      Curieux de tout, dès 1830, Hercule Florence est intrigué par le rayonnement solaire et ses effets. Après avoir constaté que le soleil efface les couleurs des tissus, il reconstitue la chambre noire de Léonard de Vinci. En 1832, il réalise des ‘‘Tableaux Transparents de jour’’ issus de la projection concentrée des raies de soleil sur du papier recouvert de nitrate d’argent. A la lueur de la bougie, dans l’obscurité, des ombres de nuages sont visibles.
      Son intérêt pour la nature et la qualité de la lumière le pousse à se pencher sur la couleur du ciel, la forme et la genèse des nuages. Il découvre tout du sujet puisqu’il semble n’avoir entendu parler « que d’un homme très instruit, qu’un artiste allemand [qui] s’occupait principalement des ciels dans des paysages ». Est-ce une allusion à Goethe et son Traité des couleurs ? En tout cas, Hercule Florence tente de comprendre les ciels et leurs nuages par le dessin. Une méthode largement partagée à l’époque. En effet, de très nombreuses peintures de ciels ont été réalisées de la fin du XVIIIe au début du XIXe siècle. Les artistes les plus connus sont : Caspar Friedrich, Alexandre Cozens, Corneille Cels, et bien sûr Luke Howard et John Constable. Les dessins d’Hercule Florence répondent à une curiosité scientifique très similaire. Mais, son originalité vient du fait qu’il n’habite pas les moyennes latitudes d’Europe mais le Brésil à la latitude du tropique du Capricorne. Cela fait de lui le pionnier de l’étude des nuages aux basses latitudes australes. Et il en est bien conscient puisqu’il écrit : « On pourra dire que ces études ayant été faites sous le tropique du Capricorne, ne peuvent servir que pour les peintres qui habitent les régions intertropicales, parce que les ciels de la zone torride sont différents des ciels des contrées tempérées. »
      Les ciels qu’il observe lui inspirent un Atlas pittoresque des ciels à l’usage des jeunes paysagistes. Cet ensemble comprend 22 aquarelles. Une sorte de catalogue, qui s’adresse en priorité aux peintres afin qu’ils représentent des arrière-plans vraisemblables (saison, heure du jour) dans leurs tableaux. Chaque ciel est en principe numéroté, daté et décrit plus ou moins minutieusement. Le descriptif prend souvent le point de vue critique d’un utilisateur potentiel artiste-peintre.
      On y retrouve des archétypes de ciels plus ou moins nuageux des deux grandes saisons du climat de la région de l’état de Sao Paulo. A la latitude du tropique, la température n’est pas le facteur discriminant de la périodisation. C’est au contraire, la fréquence et l’abondance des pluies déversées par les nuages (près d’1,5 m/an en moyenne) qui divisent le cycle annuel.
      La période la plus nuageuse et pluvieuse débute en octobre par des ondées et dure jusqu’à fin mars. En décembre-janvier, le ciel est couvert 90 % du temps. De grosses masses de nuages à fort développement vertical, très noirs et menaçants (22 janvier 1833) se déplacent rapidement. Ils font dégringoler des pluies très drues un jour sur deux (16 décembre 1832) parfois accompagnées d’éclairs et de tonnerre. En février et surtout mars, l’atmosphère est plus calme et engendre des nuages bourgeonnants contigus. Ils montent, près du sol, dans l’air « équatorial amazonien » surchargé d’humidité et apportent des ondées en fin d’après-midi (9 mars 1835).

      22 janvier 1833, 4 h du soir. © Hercule Florence. Instituto Moreira Salles

      16 décembre 1832 © Hercule Florence. Instituto Moreira Salles

      9 mars 1835 © Hercule Florence. Instituto Moreira Salles

      A l’opposé dans l’année, pendant la saison relativement sèche (avril-septembre), les ciels sont plus dégagés. C’est le cas un jour sur deux, en juillet-août-septembre. Pourtant, il n’y a aucun « grand bleu » dans l’atlas d’Hercule Florence. Le peintre est trop soucieux du pittoresque. Il cherche à donner aux peintures de la profondeur de champ et des contrastes. Une autre raison peut justifier cette rareté. Campinas est à près de 700 mètres d’altitude et l’air maritime atlantique de l’alizé s‘élève sur les contreforts de la Serra do mare. Cette ascendance conduit à la saturation et la condensation. Vers 2000 mètres d’altitude, des altocumulus isolés s’alignent en rues, dans le sens du vent (27 juillet 1832) laissant les rayons du soleil atteindre le sol par des trouées. Parfois, des ciels d’un bleu plus vif et plus vert accompagnent les coulées d’air frais à froid venu de l’Antarctique, via la Patagonie. En haute altitude, de grands cirrus zèbrent alors l’azur (25 avril 1844, 16 octobre 1832). Sous ces ciels d’apparence radieuse, l’air gélif peut brûler les feuilles, les branches et les cerises du caféier, et ainsi mettre en péril la qualité et la quantité de café récolté. Ce qui arrive malheureusement plusieurs fois par siècle.

      27 juillet 1832, 3 h de l’après midi © Hercule Florence. Instituto Moreira Salles

      25 avril 1844 © Hercule Florence. Instituto Moreira Salles

      L’Atlas est structuré par ordre chronologique ; des commentaires figurent en marge du dessin mais aussi dans un texte descriptif. Quant au travail sur les images, il est inabouti parce que la pensée de l’inventeur est, entre autres, accaparé simultanément par la mise au point d’un papier monnaie inimitable et surtout par la quête d’un appareil, efficace et bon marché, pour reproduire des images et du texte.

      Un « artiste », à l’écart de la science météorologique

      Cet inventaire de types de ciels brésiliens ne se comprend qu’à la lueur de l’histoire sud-américaine de la science météorologique. Des décennies après l’Europe, l’INEMET (Institut National de Météorologie) est créé en 1909. Il ne gère alors que 74 stations de mesures, un réseau très insuffisant pour un si vaste pays. Les premières publications scientifiques, comme celle de Henrique Morize datent de 1892. Elles permettront des synthèses fondatrices au début du XXe siècle (Climatologie du Brésil, en 1916 et Météorologie du Brésil, en 1917). Hercule Florence ne dispose donc que des connaissances vernaculaires, empiriques, nécessaires aux pratiques de l’agriculture vivrière. Elles sont largement partagées et mises en scène par des « prophètes de la pluie », des anciens souvent illettrés qui prédisent l’arrivée et l’abondance des précipitations de chaque saison pluvieuse. Les productions agricoles d’exportation comme la canne ou le café se calent également sur ce calendrier climatique subtropical à deux saisons. Le peintre fait allusion à cette bipartition annuelle du climat pour les brûlis.
      Dans ses descriptifs de nuages, Hercule Florence n’emploie jamais la terminologie en usage aujourd’hui. Il n’en a pas connaissance. Certes, c’est en 1802, lors d’une conférence à l’Askesian Society,que l’Anglais Luke Howard, a proposé sa classification, publiée un an plus tard, sous le titre On the modifications of Clouds and on the Principles of their production, suspension and destruction. Sa typologie de nuages aux noms latins (cumulus, cirrus, stratus) les définit d’après leur physionomie (altitude et forme). Elle a été complétée du nimbostratus en 1830, du stratocumulus en 1841 et du cumulonimbus en 1880, avant d’être officiellement adoptée en 1891 par les services météorologiques internationaux. L’année suivante paraissait le premier atlas des nuages. Dans l’ignorance de ce vocabulaire, Hercule Florence utilise un langage populaire, très descriptif comme la classification oubliée de Lamarck. Les mêmes images y sont utilisées pour caractériser les formes des nuées. Les termes : pommelé (1 sept 1832, 28 octobre 1832, 5 novembre 1832, 22 janvier 1833, 1er janvier 1833), cotonné (5 novembre 1832, 27 juillet 1832), arrondi, moelleux, etc. s’appliquent aux nuages cumuliformes. Le caractère échevelé (27 juillet 1832), arqué, strié, en filet léger (28 octobre 1832) est le propre des cirriformes. Quant au nuage fondu sur ses bords, ce ne peut être qu’un stratus (5 novembre 1932, 28 octobre 1832). Comme l’artiste privilégie les heures du levant ou du couchant, les teintes des nuages du blanc pur au noir sont modifiées par les reflets, jaunes, rouges, orangés, voire pourpre, des rayons du soleil.

      Date effacée, 10 h du matin © Hercule Florence. Instituto Moreira Salles

      Hercule Florence décrit aussi leur agencement linéaire (horizontal, oblique, vertical par rapport à l’horizon), en grille ou quadrillage (16 octobre 1832), en pyramide inversée (19 septembre 1832) etc. Par deux fois, des rideaux de pluies drues apparaissent à l’horizon comme le 16 décembre 1832. Les effets des nuages chauds des brûlis sont aussi observables dans les très basses couches de l’air ainsi que la mise en suspension de cendres. Tel est le cas le 28 octobre 1832, qu’il décrit ainsi : « l’horizon est rempli de la fumée d’une grande partie des feux qu’en ce pays et dans cette saison, on allume pour brûler de grands abattis que l’on fait dans les bois pour semer des grains ». Depuis 2017, la nomenclature internationale intègre une nouvelle classe pour ces nuages d’origine le plus souvent humaine : les pyrocumulus ou cumulus flammagenitus.

      Modestement, Hercule Florence met l’accent sur des ciels « mal exécutés », sur « l’insuffisance de ses esquisses », à cause en partie des « difficultés du lavis, et le mauvais papier, [qui] m’ont empêché de faire mieux ». Compte tenu de son objectif artistique, il suggère des premiers plans pour accompagner ces ciels. Pour celui du 28 octobre 1832, il écrit : « ce ciel me paraît convenir à une vue de cascade, où la blancheur de beaucoup d’eaux écumantes serait rehaussée par le sombre de l’horizon ». Le 27 juillet 1832, il propose, pour améliorer les contrastes de couleur, « un ciel d’invention » en redoublant « les masses obscures à volonté ». Et, le 9 mars 1835, il juxtapose au ciel, un « accessoire, une vue de l’Amazone, dans la Guyane portugaise ». Plus que la réalité d’un ciel d’une journée donnée, c’est la vraisemblance d’un type de temps dans sa saison, qu’il convient de chercher dans ces dessins. Et d’ailleurs, cet inventeur touche à tout n’installe pas de station météorologique dans sa propriété, parce que les données quantitatives ainsi recueillies ne résoudraient aucune de ses préoccupations esthétiques.
      Florence conclut même au sujet de son travail sur les ciels : « je prie les connaisseurs de les examiner, et si elles méritent leur approbation, je les recommande à leur zèle pour les arts, afin qu’elles ne restent pas dans l’oubli qui est mon partage, et ce qu’elles auront d’appréciable, sera alors plutôt leur ouvrage que le mien ».

      Conclusion

      A la toute fin de sa vie, en 1879, la traduction en portugais de ses notes sur l’expédition Langsdorff est enfin publiée. Elle va lui valoir d’intégrer l’Académie des sciences à Rio. Par contre, ses découvertes dans le domaine de la photographie ne sont reconnues que plus timidement. Son inventivité multiforme est résumée par le qualificatif de l’historien Komissarov qui parle de “Léonard de Vinci” du Brésil.
      Depuis peu, Hercule Florence connaît un début de reconnaissance posthume en tant que dessinateur. Et en effet, ses ciels n’ont rien à envier à ceux de Constable, ses dessins naturalistes à ceux de Bernard Germain de Lacépède, ses planches de travailleurs à celles de Louis-Jacques Goussier qui œuvra pour les Encyclopédistes…

      Illustrations :
      Toutes les images sont reproduites avec l’aimable autorisation de Julia Kovensky, Coordenadora de Iconografia, Instituto Moreira Salles.
      + 55 21 3284 7432
      www.ims.com.br

      Bibliographie :

      Beaud Marie-Claire et al., 2017, Hercule Florence. Le Nouveau Robinson, éditions du Nouveau Musée National de Monaco, 381 p.
      Carelli Mario, 1992, A la découverte de l’Amazonie. Les carnets du naturaliste Hercule Florence, Découverte Gallimard, 144 p.
      Dubreuil Vincent, Fante K., Planchon O., Sant’Anna Neto J., 2019, Climate change evidence in Brazil from Köppen’s climate annual types frequency, International Journal of Climatology, 39 (3), pp.1446-1456.
      Florence Hercule. L’ami des arts livré à lui-même ou Recherches et découvertes sur différents sujets nouveaux, 1837-1859. Manuscrito, Tinta ferrogálica sobre papel, 30,0 x 20,0 cm (fechado). Coleção Instituto Hercule Florence (São Paulo).
      Florence Leila (org.), 2010, Céus. O teatro pitoresco-celeste de Hercule Florence. São Paulo, Florescer Produções Culturais – Coleção Cyrillo Hércules Florence.
      Jefferson Mark, 1924, New Rainfall Maps of Brazil , Geographical Review, Vol. 14, No.1, pp. 127-135.
      Komissarov, Boris N. 2010. “Langsdorff: Com o Brasil, para Sempre.” In Expedição Langsdorff [catálogo da exposição], 14-35. Rio de Janeiro: Centro Cultural Banco do Brasil. [https:]]
      Luret William, 2001, Les trois vies d’Hercule Florence, éditions Jean-Claude Lattès, 305 p.Mendonça Francisco, 2012, La connaissance du climat au Brésil : entre le vernaculaire et le scientifique Confins, numéro 15/7610.
      Monbeig Pierre, 1952, Pionniers et planteurs de Sâo Paulo, A. Colin, 376 p.
      Morize Henrique, 1889. Esboço da climatologia do Brasil. Observatorio Astronômico, Rio de Janeiro, 47 p.
      Papy Louis, 1954, Au pays des plantations caféières de Sâo Paulo, avec M. Pierre Monbeig, Les Cahiers d’Outre-mer, 7-26, pp. 195-203.
      Planchon Olivier, 2003, Transition entre climats tropicaux et tempérés en Amérique du sud : essai de régionalisation climatique, Les Cahiers d’Outre-mer, 223, pp. 259-280.

       

      Martine Tabeaud, novembre 2023

    • sur 3 explorations bluffantes avec DuckDB – Butiner des API JSON (2/3)

      Publié: 28 November 2023, 1:54pm CET par Éric Mauvière

      DuckDB saurait-il rivaliser avec JavaScript pour exploiter des données JSON ? Ce n’est pas le terrain sur lequel j’attendais ce moteur SQL. Quelle ne fut pas ma surprise, pourtant, de le voir se jouer des imbrications les plus retorses, des modèles de données les plus échevelés, auxquels JSON accorde volontiers son flexible habillage.

      Après le premier épisode consacré aux formats Parquet et CSV dans DuckDB, voici donc à nouveau deux exemples concrets de jeux avec des données formattées en JSON.

      A - API recherche d'entreprises : celles autour de chez moi, quelles sont-elles ?

      C’est en explorant les belles ressources du portail api.gouv.fr que l’idée de cet article a pris forme. De multiples API de données sont désormais proposées de façon ouverte, sans identification : professionnels bio (Agence bio), base adresses (BAN), demandes de valeurs foncières (DVF), annuaire de l’Éducation nationale, annuaire des entreprises…

      Je me suis arrêté sur cette dernière source, interrogeable par une API très simple, construite par la Dinum.

      Vous pouvez lui poser deux questions :
      • quelles infos peux-tu me donner sur une entreprise ? Ex. : icem7, et si je tape icem77 j’aurai tout de même la bonne réponse ;
      • quelles sont les entreprises autour d’un point GPS ?

      Alors, j’ai voulu regarder les entreprises près de chez moi. Les bureaux d’icem7 jouxtent mon domicile, j’ai donc bien retrouvé ma société et constaté que nous étions cernés par les sociétés civiles immobilières – le quartier est, il est vrai, plutôt résidentiel.

      Voyons gentiment comment arriver à un tel résultat, avec DuckDB et un outil web simple.

      L’URL suivante construite d’après la doc prend comme paramètres un point GPS (longitude et latitude) et un rayon (en km) ; j’ai choisi 300 m, le rayon maximum est de 50 km.

      https://recherche-entreprises.api.gouv.fr/near_point?lat=43.69875&long=1.46158&radius=0.3

      Dans un navigateur (ici Chrome), vous pouvez facilement consulter la réponse dans un affichage confortable et flexible. Quelques données numériques encadrent un « array » JavaScript de results, avec ici 10 entreprises (sur 89 annoncées, dans total_results).

      Si je déplie le premier résultat (d’indice 0), se révèle une structure hiérarchique, avec bon nombre de rubriques :

      On devine déjà l’intérêt de cette API, pour laquelle la Dinum collationne en temps réel de multiples sources de données : immatriculation et statut juridique, certifications, résultats financiers, siège et établissements. Les entreprises listées ici ont au moins un établissement dans le rayon de ma requête (matching_etablissements).

      Que sait lire DuckDB ? Je vais l’utiliser ici dans sa version la plus dépouillée et la plus rapide, l’exécutable de 20 Mo, qui présente les résultats de façon toujours lisible, quelle que soit la largeur de votre écran.

      				
      					FROM read_json_auto('https://recherche-entreprises.api.gouv.fr/near_point?lat=43.69875&long=1.46158&radius=0.3');
      				
      			

      Cette simple requête constitue un tableau d’une seule ligne, dont la première colonne reprend results, c’est-à-dire un array (ou liste) de données structurées. Là où JavaScript parle d’array et d’objets, DuckDB évoquera des listes et des structures. Le format Parquet a aussi cette capacité d’accueillir de telles colonnes complexes.

      Comment déplier ce tableau en autant de lignes que d’entreprises ?

      Découvrons le pouvoir magique (et proprement bluffant, oui) de la fonction unnest() :

      				
      					SELECT unnest(results, recursive := true) 
      FROM read_json_auto('https://recherche-entreprises.api.gouv.fr/near_point?lat=43.69875&long=1.46158&radius=0.3');
      
      				
      			

      Avec le paramètre recursive := true, unnest() va continuer à déplier les structures cachées dans les colonnes de chaque « result », si bien que le tableau ci-dessus contient désormais 10 lignes et 78 colonnes, autant de pépites d’information sur chaque entreprise.

      Affichons-en quelques-unes en clair ; je vais réduire mon champ géographique à 10 m autour de chez moi :

      				
      					SELECT unnest(results, recursive := true) 
      FROM read_json_auto('https://recherche-entreprises.api.gouv.fr/near_point?lat=43.69875&long=1.46158&radius=0.01');
      
      				
      			

      Et en effet, je retrouve bien icem7, et même ma précédente entreprise, dont icem7 a pris la suite. Emc3 n’existe plus à cette adresse, l’API renvoie, je le découvre, des entreprises dont le statut administratif a pu évoluer.

      Je vais donc affiner mes requêtes ultérieures en demandant à voir, près de chez moi, les seuls établissements actifs :

      				
      					FROM (
       SELECT unnest(results, recursive := true) 
       FROM read_json_auto('https://recherche-entreprises.api.gouv.fr/near_point?lat=43.69875&long=1.46158&radius=0.01')
      )
      WHERE list_filter(matching_etablissements, 
                        d -> d. etat_administratif = 'A').len() >= 1 ;
      
      
      				
      			

      Avec list_filter(), je vous laisse goûter à l’une des nombreuses fonctions de manipulations de listes, qui donnent à DuckDB toute facilité pour explorer des structures imbriquées à la JSON.

      Il reste plusieurs colonnes de type liste que unnest() n’a opportunément pas dépliées, car cela aurait encore multiplié le nombre de lignes.

      Déplions manuellement la colonne dirigeants, ce qui fait apparaitre une sous-table, où je me reconnais avec mon associée. On y trouve des infos étonnamment personnelles comme l’identité, la nationalité et même la date de naissance (que je ne dévoile pas ici, par galanterie) !

      				
      					WITH tb1 AS (
       SELECT unnest(results, recursive := true) 
       FROM read_json_auto('https://recherche-entreprises.api.gouv.fr/near_point?lat=43.69875&long=1.46158&radius=0.01')
      )
      SELECT unnest(dirigeants, recursive := true) FROM tb1 
      WHERE list_filter(matching_etablissements, 
                        d -> d. etat_administratif = 'A').len() >= 1 ;
      
      
      				
      			

      Sur les 78 colonnes de la table dépliée, je vais donc choisir quelques infos parmi les plus parlantes, afin de localiser ces entreprises et d’en savoir plus sur ce qu’elles font et qui les dirige. Je peux identifier des certifiés « bio » (producteurs ou revendeurs / préparateurs), des organismes de formation, par exemple ceux certifiés Qualiopi comme icem7.

      Par commodité, je m’en tiens au seul premier établissement près de chez moi d’une même entreprise. DuckDB utilise des indices qui commencent par 1 (et non 0 comme dans JavaScript).

      				
      					SELECT siret, nom_complet, activite_principale, dirigeants,
      matching_etablissements[1].longitude::float AS lon,
      matching_etablissements[1].latitude::float AS lat, est_qualiopi 
      FROM (
        SELECT unnest(results, recursive := true) 
        FROM read_json_auto('https://recherche-entreprises.api.gouv.fr/near_point?lat=43.69875&long=1.46158&radius=0.3')
      )
      WHERE list_filter(matching_etablissements, 
                        d -> d. etat_administratif = 'A').len() >= 1 ;
      				
      			

      Avec ce premier résultat, je pourrais déjà cartographier ces entreprises et produire une analyse coloriée par code activité (NAF).

      Dépasser les contraintes de l'API

      Bien sûr, le problème est que je n’ai reçu d’infos que sur 10 entreprises. Voyons comment relever le curseur. La doc de l’API indique que je peux pousser jusqu’à 25 entreprises par appel, et lancer 7 appels par seconde. 

      Pour avoir les 89 établissements à 300 m de chez moi, je m’attends donc à m’y reprendre à plusieurs fois.

      				
      					SELECT total_results, total_pages 
      FROM read_json_auto('https://recherche-entreprises.api.gouv.fr/near_point?lat=43.69875&long=1.46158&radius=0.3&per_page=25');
      
      				
      			
      duckdb2-sql6

      Avec le paramètre per_page=25, l’API me renvoie désormais une première « page » de 25 résultats, et me précise le nombre de pages nécessaires (4). Pour avoir la page 2, je dois ajouter à l’URL un paramètre &page=2.

      DuckDB permet commodément de charger dans le même mouvement toute une collection d’URL :

      				
      					SELECT unnest(results, recursive := true) 
      FROM read_json_auto([
      'https://recherche-entreprises.api.gouv.fr/near_point?lat=43.69875&long=1.46158&radius=0.3&per_page=25',
      'https://recherche-entreprises.api.gouv.fr/near_point?lat=43.69875&long=1.46158&radius=0.3&per_page=25&page=2',
      'https://recherche-entreprises.api.gouv.fr/near_point?lat=43.69875&long=1.46158&radius=0.3&per_page=25&page=3',
      'https://recherche-entreprises.api.gouv.fr/near_point?lat=43.69875&long=1.46158&radius=0.3&per_page=25&page=4'
      ]) ;
      				
      			

      Mais une telle écriture reste bien lourde. Il y a plus élégant, plus « vectoriel » :

      				
      					SELECT unnest(results, recursive := true) 
      FROM read_json_auto(
      	list_transform(generate_series(1, 4),
          n -> 'https://recherche-entreprises.api.gouv.fr/near_point?lat=43.69875&long=1.46158&radius=0.3&per_page=25&page=' || n)
      ) ;
      
      				
      			

      generate_series(1, 4) produit un vecteur [1,2,3,4], lequel se voit transformer avec list_transform() en un vecteur d’URL.

      Je suis donc en mesure de récupérer en une seule requête tous mes voisins entrepreneurs, et pour ne pas solliciter l’API à chaque raffinement de mes écritures, je vais stocker ce premier résultat dans une table.

      				
      					CREATE OR replace TABLE etab_proches_icem7 AS FROM (   
        SELECT unnest(results, recursive := true) 
        FROM read_json_auto(
      	list_transform( generate_series(1, 4),
          n -> 'https://recherche-entreprises.api.gouv.fr/near_point?lat=43.69875&long=1.46158&radius=0.3&per_page=25&page=' || n)
         )
      )
      WHERE list_filter(matching_etablissements, 
                        d -> d. etat_administratif = 'A').len() >= 1 ;
      
      				
      			

      Voici un aperçu de cette table de 89 établissements, liste que j’ai triée pour montrer en premier les organismes de formation certifiés Qualiopi ; icem7 apparait bien.

      				
      					SELECT nom_complet, activite_principale,
      matching_etablissements[1].longitude::float AS lon, matching_etablissements[1].latitude::float AS lat,
      est_organisme_formation, est_qualiopi
      FROM etab_proches_icem7 
      ORDER BY est_organisme_formation DESC, nom_complet ;
      
      
      				
      			

      Désormais, je peux cartographier ce résultat à partir d’un export GeoJSON de cette table :

      				
      					LOAD SPATIAL ;
      COPY (
          SELECT nom_complet, activite_principale,
          ST_Point(matching_etablissements[1].longitude::float, 
                   matching_etablissements[1].latitude::float) AS geometry
          FROM etab_proches_icem7
      ) TO 'C:/.../entr_proches_icem7.json'
      WITH (FORMAT GDAL, DRIVER 'GeoJSON') ;
      
      
      
      				
      			

      L’export GeoJSON repose sur l’extension SPATIAL, que je charge au préalable (cette procédure devrait prochainement se simplifier dans DuckDB, avec un chargement automatique déclenché dès l’appel d’une fonction spatiale). 

      La table doit ensuite comprendre une colonne de géométrie (nommée obligatoirement geometry), ici une colonne ponctuelle générée avec la fonction ST_Point().

      Je fais glisser le fichier ainsi créé dans l’interface de geojson.io pour découvrir – enfin – cette carte des entreprises près de chez moi – et elles sont nombreuses !

      Joindre une nomenclature

      Le code activité principale, issu de la NAF, me parle peu, je vais donc chercher des libellés clairs.

      Grâce à SQL, le pouvoir des jointures, et la capacité de DuckDB à piocher directement sur le web, je récupère, par une table de passage constituée par mes soins au format parquet, les différents niveaux d’agrégation de la NAF et leurs dénominations.

      				
      					SELECT nom_complet, activite_principale, 
      ST_Point(matching_etablissements[1].longitude::float,
               matching_etablissements[1].latitude::float) AS geometry,
      n.LIB_NIV5,n.LIB_NIV1
      FROM etab_proches_icem7
      LEFT JOIN 'https://static.data.gouv.fr/resources/naf-1/20231123-121750/nafr2.parquet' n 
      ON etab_proches_icem7.activite_principale = n.NIV5 ;
      
      
      				
      			
      Cartographier selon l'activité principale

      Pour produire une cartographie plus analytique, avec des punaises coloriées selon l’activité, j’utilise le service MyMaps de Google, seul outil en ligne que j’aie pu identifier pour ce faire et afficher en arrière-plan une couche de rues.

      Maps ne lit pas de GeoJSON mais accepte le CSV, pourvu qu’on y insère les deux colonnes longitude et latitude (nommées comme on veut).

      				
      					COPY (
          SELECT nom_complet, activite_principale, 
          matching_etablissements[1].longitude AS lon,
          matching_etablissements[1].latitude AS lat,
          n.LIB_NIV5,n.LIB_NIV1
          FROM etab_proches_icem7
          LEFT JOIN 'https://static.data.gouv.fr/resources/naf-1/20231123-121750/nafr2.parquet' n 
          ON etab_proches_icem7.activite_principale = n.NIV5 
      ) TO 'C:/.../etab_proches_icem7.csv' ;
      
      
      				
      			

      Comme il me reste, même au niveau le plus agrégé de la NAF, beaucoup de modalités différentes, je termine en créant un code activité simplifié, avec une catégorie « Autres » regroupant les effectifs les plus faibles :

      				
      					COPY (
        WITH tb1 AS (
      	SELECT nom_complet, activite_principale, 
      	matching_etablissements[1].longitude AS lon,
      	matching_etablissements[1].latitude AS lat,
      	n.LIB_NIV5,n.LIB_NIV1, 
      	count(*) OVER (PARTITION BY LIB_NIV1) AS eft_naf 
      	FROM etab_proches_icem7
      	LEFT JOIN 'https://static.data.gouv.fr/resources/naf-1/20231123-121750/nafr2.parquet' n 
      	ON etab_proches_icem7.activite_principale = n.NIV5 
        )
        SELECT CASE WHEN eft_naf >= 3 THEN LIB_NIV1 ELSE 'Autres' END 
        AS activite, *
        FROM tb1 
      ) TO 'C:/.../etab_proches_icem7.csv' ;
      
      				
      			

      Et voici une carte interactive, dont vous pouvez déplier la légende (bouton en haut à gauche) ou cliquer les punaises :

      B - DataTourisme et le hackaviz DataGrandEst

      Mon second exemple sera plus concis, et il a surtout servi à résoudre un problème concret. Mon collègue Alain Roan, qui prépare le Hackaviz du 13 décembre 2023 de DataGrandEst, s’est déclaré lui-même proprement « bluffé » par l’agilité de DuckDB.

      Le concours s’appuie sur des données touristiques ; il s’agit de mettre en regard des nuitées et des points d’intérêt (POI) touristiques, c’est-à-dire de tenter d’expliquer la venue des touristes par l’existence de ressources attractives : monuments, spectacles, itinéraires, etc.

      Alain et l’agence régionale du tourisme voulaient constituer un fichier de POI avec une double localisation longitude/latitude et code commune Insee. Selon les sources, ils disposaient soit de l’un, soit de l’autre, mais pas des deux.

      Ils le savaient, la réponse se trouve dans le portail DataTourisme. Il s’agit d’une superbe initiative, formalisée en 2017, rassemblant en temps réel toutes les sources de données disponibles. Toutefois, son « API web moderne » évoque plutôt les années 1980, époque regrettée des programmes lancés « en batch » sur « grosse machine ». Comme quand j’ai commencé à l’Insee, il faut attendre le lendemain pour disposer des résultats d’une demande d’extraction. Les « flux » ainsi mis à disposition sont d’une fluidité toute relative, celle d’une grosse goutte se détachant toutes les 24 heures.

      Plus enthousiasmant encore, la requête en partie décrite dans l’image suivante (région Grand Est) conduit à récupérer une archive de plus de 20 000 fichiers JSON :

      Ces 21 211 fiches JSON représentent environ 500 Mo de données, qu’il faut décompresser sur son disque dur pour envisager de les exploiter. Elles s’organisent dans une arborescence à deux niveaux. Les noms de fichier sont peu évocateurs et chaque document présente un contenu assez dense.

      Voilà un court extrait d’une fiche pour vous donner une petite idée :

      Armé de DuckDB, ma première entreprise fut d’extraire d’une fiche au hasard les variables essentielles pour le hackaviz. Les noms de champ sont un peu pénibles à manier, mais le bonheur de toucher du doigt l’univers enchanté des « ontologies » et du « web sémantique » l’emporte sur le désagrément d’avoir à multiplier les quotes et les crochets :

      				
      					SELECT 
      isLocatedAt[1]['schema:address'][1]['hasAddressCity']['insee'] AS code_com, 
      "rdfs:label"['fr'][1] AS label, 
      array_to_string("@type", ',') AS types,
      array_to_string(isLocatedAt[1]['schema:address'][1]['schema:streetAddress'], ' ') AS streetAddress, 
      isLocatedAt[1]['schema:address'][1]['schema:postalCode'] AS postalCode,
      isLocatedAt[1]['schema:address'][1]['schema:addressLocality'] AS addressLocality,
      isLocatedAt[1]['schema:geo']['schema:latitude']::float AS latitude, 
      isLocatedAt[1]['schema:geo']['schema:longitude']::float AS longitude
      FROM read_json_auto('C:\...\objects\2\23\3-23a1b563-5c8c-32e0-b0fc-e0fcbb077b29.json'); 
      
      
      				
      			

      Et voici l’apparition du dernier effet bluffant DuckDB, la lecture en une seule passe et moins de 10 secondes des 21 211 fiches JSON :

      				
      					CREATE OR replace TABLE poi_grandest AS
      SELECT 
      isLocatedAt[1]['schema:address'][1]['hasAddressCity']['insee'] AS code_com, 
      "rdfs:label"['fr'][1] AS label, 
      array_to_string("@type", ',') AS types,
      array_to_string(isLocatedAt[1]['schema:address'][1]['schema:streetAddress'], ' ') AS streetAddress, 
      isLocatedAt[1]['schema:address'][1]['schema:postalCode'] AS postalCode,
      isLocatedAt[1]['schema:address'][1]['schema:addressLocality'] AS addressLocality,
      isLocatedAt[1]['schema:geo']['schema:latitude']::float AS latitude, 
      isLocatedAt[1]['schema:geo']['schema:longitude']::float AS longitude
      FROM read_json_auto('C:\...\objects\*\*\*.json') ; 
      
      				
      			

      L’API DataTourisme est tellement monumentale et raffinée que la plupart des professionnels du tourisme sont incapables de l’utiliser (mais des simplifications sont annoncées pour la fin de l’année). Qu’à cela ne tienne, un marché de développeurs affutés a pu naitre, auxquels les acteurs du tourisme en besoin de données sur mesure commandent des extractions, réalisées en Python, R ou autres langages d’académique facture.

      Bienvenue donc au trublion DuckDB, qui sait rendre l’open data véritablement open.  

      				
      					FROM poi_grandest LIMIT 10;
      				
      			

      J’ai voulu montrer avec ces deux exemples comment interroger des ressources JSON avec DuckDB, en les manipulant comme des tables. J’ai même pu apparier avec un fichier distant au format Parquet.

      L’annuaire des entreprises gagnerait sans doute à être mis à disposition aussi au format parquet. L’API offre de son côté des services spécifiques complémentaires (recherche textuelle, recherche de proximité). Mais le format GeoParquet, dès qu’il aura intégré les index spatiaux, saura rivaliser avec une API par ailleurs contrainte en volume et nombre d’appels.

      Dans le prochain épisode (3/3), je parlerai de cartographie, de requêtes spatiales et précisément du format GeoParquet.

      Pour en savoir plus

      L’article 3 explorations bluffantes avec DuckDB – Butiner des API JSON (2/3) est apparu en premier sur Icem7.

    • sur LOG’AU voit le jour !

      Publié: 28 November 2023, 11:00am CET par Jordan Novais Serviere
      LOG'AU : Le Grand Départ !
      • 28/11/2023
      • Jordan Novais Serviere
      Une plateforme novatrice au service des producteurs d'eau

      Ça y est, c’est fait ! La nouvelle plateforme de Geomatys consacrée à la gestion et la surveillance de la qualité de l’eau est opérationnelle ! LOG’AU est une plateforme qui offre aux producteurs d’eau potable une solution complète pour surveiller en temps réel la qualité de l’eau à leurs différents points de captage, afin d’avoir une vue d’ensemble de leur territoire pour prendre des décisions éclairées et réactives pour garantir la sécurité sanitaire de leurs usagers.

      LOG’AU permet à ses utilisateurs :

      • D’avoir accès à leurs données détaillées pour chaque capteur…
      • …Et des rapports complets pour chaque BAC et Structures
      • D’accéder à module cartographique pour contextualiser géographiquement vos données
      • De paramétrer des alertes en cas de dépassement des seuils sanitaires
      fonctionnalités de log'au, analyses des données d'eau, module cartographique, alertes

      Les quatre principaux modules de LOG’AU

      Lancé avec le soutien de ses partenaires, LOG’AU reflète une véritable avancée dans la gestion proactive des ressources hydriques, et met en avant la volonté de Geomatys d’agir dans des secteurs environnementaux et sanitaires. En permettant aux producteurs d’eau potable de prendre des mesures basées sur des données fiables et précises, cette plateforme devient un atout essentiel pour garantir la durabilité de nos ressources en eau ainsi que la santé des populations locales. 

      Pour en savoir encore plus sur LOG’AU, visitez le site dédié, afin de trouver des informations complémentaires concernant chaque fonctionnalité du produit.

      Vous souhaitez prendre contact avec nous ? Ou demander une démo de LOG’AU ? Contactez nous par mail : contact@logau.eu , ou par téléphone : +33 (0)4 84 49 02 26

      Menu logo-geomatys Linkedin Twitter Youtube

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    • sur Aux îles

      Publié: 24 November 2023, 2:52pm CET par r.a.

      Aurélia Coulaty, Clément Thoby, Aux îles, Actes Sud, 2023

           Le goût du voyage géographique peut être suscité par un guide, un documentaire, un ouvrage spécialisé mais aussi par un « beau livre ». Les amoureux des îles pourront choisir leur destination après avoir lu l’album écrit par Aurélia Coulaty et illustré par Clément Thoby, Aux Îles (1). L’auteure, écrivaine et artiste polyvalente, a approfondi sa passion du voyage et de l’« ailleurs » en consacrant son master de lettres modernes à Nicolas Bouvier (2). Dans Aux Îles, elle entrelace informations géographiques (sur l’environnement particulièrement), récits mythologiques, références littéraires et impressions subjectives.

           Ouvrir le livre donne un premier plaisir sensuel : contempler des dessins aux couleurs saturées et aux traits de crayon rapides tout en caressant un papier épais et satiné. Toutes les îles trouvent leur place. De petites îles comme Socotra, au large du Yémen, à la biodiversité exceptionnelle ou Ouessant, vigie sur l’océan Atlantique. De grandes îles comme l’Irlande, façonnée par des vagues successives d’occupants mais qui ne fut pas romanisée. Une île-continent, l’Australie. Les archipels sont aussi nombreux : les Galapagos offrent leurs 200 000 km2 de réserve naturelle maritime alors que les Kerguelen, dans les TAAF (3), abritent la recherche des météorologues, vulcanologues, biologistes…sous la protection de la Marine nationale. Les îles de lacs et de lagunes ne sont pas non plus oubliées (Venise, bien sûr…).

           Les îles ne sont pas regroupées selon un critère géographique. La localisation des îles des contes et légendes, telle l’Atlantide, serait hasardeuse. Tout aussi difficiles à situer sur une carte les îles nées de l’imaginaire littéraire de deux Britanniques, Nulle part (Utopia de Thomas More (4) et Le pays du Jamais (Neverland de J. M. Barrie) (5). D’autres îles sont regroupées selon la fonction que les hommes leur attribuèrent, qu’il s’agisse d’abriter des bagnards (Nouvelle-Calédonie, Sakhaline…), de garder de grands prisonniers (Napoléon à Sainte-Hélène…) ou de fournir des repaires aux pirates (Cocos et La Tortue).

           Voici donc une occasion de faire un beau tour du monde en 86 pages.

      Notes :

      (1) Aurélia COULATY, Clément THOBY, Aux Îles, Actes Sud, 2023
      (2) Nicolas BOUVIER est un écrivain, voyageur, photographe suisse, considéré comme un maître de la littérature de voyage. Son ouvrage L’Usage du monde (1963) est aujourd’hui une référence reconnue dans le monde universitaire.
      (3) TAAF : Terres antarctiques et australes françaises
      (4) L’Utopie ou Le Traité de la meilleure forme de gouvernement a été écrit par Thomas More en 1516.
      (5) J. M. BARRIE est le créateur du personnage de Peter Pan qui vit dans un lieu imaginaire, Neverland. Le roman, Peter et Wendy, a été publié en 1911.

      Michèle Vignaux, novembre 2023

    • sur Une nouvelle méthode opérationnelle pour surveiller le dépérissement des chênes en région Centre-Val de Loire

      Publié: 22 November 2023, 3:51pm CET par Florian Mouret

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      Les résultats présentés ici sont issus des travaux publiés dans l’article: F. Mouret, D. Morin, H. Martin, M. Planells and C. Vincent-Barbaroux, « Toward an Operational Monitoring of Oak Dieback With Multispectral Satellite Time Series: A Case Study in Centre-Val De Loire Region of France, » in IEEE Journal of Selected Topics in Applied Earth Observations and Remote Sensing, doi: https://doi.org/10.1109/jstars.2023.3332420

      Contexte et introduction

      Le dépérissement forestier se caractérise par une diminution de la vitalité des arbres (déficit foliaire, perte de ramifications et de branches), pouvant aller jusqu’à leur mort. Il est causé par une combinaison de facteurs (sol, climat, ravageur, …) pouvant se succéder et/ou se combiner, provoquant une perte de santé dans des peuplements entiers.

      Le changement climatique, un facteur aggravant

      Le changement climatique a un impact direct sur les forêts. Les principaux facteurs en cause sont l’augmentation des températures et des phénomènes météorologiques extrêmes ainsi qu’une modification des précipitations. Les arbres, plus vulnérables, sont donc plus sensibles aux attaques de ravageurs et aux parasites, eux même favorisés par l’augmentation des températures.

      Figure 1: Taux d’arbres morts sur pied par essence (période 2015-2019). Source : IGN ( [https:]] ) Étude de cas : le dépérissement des chênes en Centre-Val de Loire

      Le chêne sessile et pédonculé, des espèces emblématiques des forêts françaises et particulièrement présentes en région Centre-Val de Loire, sont touchés par une augmentation massive des dépérissements. Cette augmentation fait suite aux sécheresses successives de ces dernières années (en particulier 2018/2019/2020) et devrait continuer dans les décennies à venir. Concernant la vitesse des dépérissements, celui du chêne est un processus lent et diffus contrairement à d’autres espèces (par exemple, les attaques de scolytes sur épicéa), ce qui rend son suivi particulièrement délicat.

      Mise en place d’un système de suivi opérationnel basée sur la chaîne de traitement iota

      Dans ce contexte, un état des lieux est nécessaire afin d’adapter au mieux les réponses à apporter par la filière forestière. Dans le cadre du projet RECONFORT de l’ARD SYCOMORE, programme de recherche financé par la région Centre-Val de Loire, un système de suivi opérationnel du dépérissement du chêne a donc été mis au point par l’Université d’Orléans et le CESBIO. Ce suivi est réalisé à l’aide d’images satellites Sentinel-2, qui présentent des avantages évident pour ce type d’applications : grande revisite temporelle et résolution spatiale adaptée à des détections fines. La chaîne de traitement se base sur iota2, développée au CESBIO pour la cartographie large échelle à l’aide de séries temporelles d’images satellite. L’utilisation de iota2 permet d’avoir une chaîne de production facilement transférable et/ou utilisable par différents utilisateurs (voir par exemple notre package de production de cartes de dépérissement). Dans le cadre de notre étude, la chaîne iota2 a été adaptée à nos besoins. En particulier, l’étape d’apprentissage du modèle est effectuée en dehors de la chaîne afin de pouvoir utiliser des exemples d’apprentissage provenant de plusieurs années différentes (voir la Section Méthode).

      Zone d’étude et données d’apprentissage

      Notre zone d’étude correspond à la région Centre-Val de Loire et ses environs (voir Figure 2). Les données d’apprentissages sont des placettes (20 arbres) labellisées entre les année 2017 et 2022 à l’aide du protocole DEPERIS, utilisé par le Département de la santé des forêts (DSF) en France. En prenant en compte le taux de mortalité de branches et le manque de ramification, ce protocole associe à un arbre une note allant de A (sain) à F (mort). Une note de D correspond à un arbre dépérissant et traduit une perte de plus de 50% de son houppier. Une placette est considérée dépérissante lorsque plus de 20% des arbres sont dépérissants (c’est la convention adoptée par les forestiers en France). En pratique, nous avons séparé les placettes en 3 catégories en fonction du pourcentage d’arbres dépérissants : saines (moins de 20%), dépérissantes (entre 20 et 50%) et très dépérissantes (+50%). Au total, plus de 2700 placettes de référence ont été utilisées, la moitié ayant été labellisées en 2020 lors d’une enquête nationale menée par le DSF.

      Figure 2 : La région d’étude est délimitée par la zone grise. La frontière de la région Centre-Val de Loire et de ses départements est en blanc. Enfin, les points de couleur localisent les données de référence, chaque couleur représentant une année de notation. L’arrière-plan utilise des images S2 sans nuage (Mouret et al., 2023). Méthode

      La chaîne de traitement élaborée pour l’apprentissage d’un modèle de détection du dépérissement sur le chêne est détaillée Figure 3. Une des particularités de notre approche est l’élaboration d’une base d’apprentissage multi-annuel, permettant d’obtenir un modèle de prédiction utilisable sur plusieurs années différentes. Cette approche multi-annuelle est motivée par la volonté de 1) mettre à profit la disponibilité de références terrain acquises sur plusieurs années et 2) continuer les prédictions dans les années à venir sans avoir besoin de recalibrer le modèle appris.

      Dans un premier temps, nous avons étudié différents indices spectraux calculés à partir d’images Sentinel-2 afin de repérer ceux qui étaient les mieux adaptés au suivi du dépérissement du chêne. Deux indices différents et complémentaires ont été choisis :  un lié au contenu en chlorophylle et l’autre lié au contenu en eau de la végétation analysée. En passant à la production des cartes, nous nous sommes aperçus que les prédictions du modèle appris sur nos données brutes avaient tendance à osciller entre prédictions optimistes (carte avec une majorité de pixels sains) et pessimistes (carte avec plus de pixels dépérissants). Ces oscillations sont causées par des variations phénologiques et  un déséquilibre de nos données d’apprentissage: par exemple, les prédictions pour l’année 2020 ayant une grande proportion de données d’apprentissage saines sont plus optimistes que l’année 2021 qui a une proportion de données d’apprentissage dépérissantes plus importante. Pour améliorer la stabilité de notre modèle de prédiction (et ses performances), nous avons augmenté nos données d’apprentissage en utilisant une technique simple et intuitive qui peut se résumer avec les deux règles suivantes : Règle 1: une placette saine l’année Y était très probablement saine les années Y-1 et Y-2, Règle 2 : une placette dépérissante l’année Y va très probablement continuer à dépérir l’année Y+1 et Y+2. En pratique (voir détails dans l’article complet), le modèle de classification utilisé est Random Forest et les données d’entrées sont des séries temporelles sur deux années consécutives des deux indices de végétation issus d’image Sentinel-2 décrit plus haut. Une étape d’équilibrage du jeu d’apprentissage est également effectuée grâce à l’algorithme SMOTE, qui permet de générer des exemples synthétiques dans les classes minoritaires.

      chaîne de traitement proposée (Mouret et al., 2023)Figure 3 : chaîne de traitement proposée (Mouret et al., 2023) Résultats

      Nos résultats de validation montrent qu’il est possible de détecter avec précision le dépérissement du chêne (overall accuracy = 80 % et balanced accuracy = 79 %). Une validation croisée spatiale a également été effectuée avec un tampon de 10 km pour évaluer les performances du modèle sur des régions qui n’ont jamais été rencontrées pendant l’entraînement (quelque soit les années). Dans ce cas là, une légère diminution des performances a été observée ( ? 5 %). La Figure 4 montre la carte produite pour l’année 2022. Elle met en avant l’hétérogénéité de l’état sanitaire au sein de la région : la Sologne au centre de l’image est par exemple très dépérissante alors que le nord-ouest est peu affecté. N’ayant pas à notre disposition de masque chêne de grande qualité, nous avons décidé d’utiliser le masque feuillus OSO (des études préliminaires nous ont d’ailleurs montré que les cartes produites sont assez pertinentes sur les feuillus en général). En utilisant le masque de chêne «  BD forêt V2 (IGN)  » , le pourcentage de pixels dépérissants est passé de 15% en 2019 à 25% en 2022 (ces résultats sont à prendre avec précaution et sont probablement pessimistes, puisque le masque est ancien et que nous ne disposons pas d’un masque pour les coupes rases).. Des parcelles homogènes (en rouge) sont visibles et correspondent en général à des coupes. Les Figures 5 et 6 nous permettent d’apprécier plus en détail la finesse spatiale de l’analyse et l’évolution temporelle des dépérissements dans des zones situées dans les forêts domaniales d’Orléans et de Tronçais. En particulier, nous pouvons constater l’évolution parfois très rapide et étendue des dépérissements d’une année à l’autre.

      Figure 4 : Cartographie de l’état sanitaire des peuplements feuillus pour l’année 2022. En cyan, orange et en rouge les pixels sains, dépérissants et fortement dépérissants. Le masque de la carte d’occupation du sol OSO 2021 pour les peuplements feuillus a été utilisé.

       

      Figure 5: Évolution du dépérissement prédit entre 2017 et 2022 sur une partie de la forêt d’Orléans (nord-ouest). Des parcelles homogènes (en rouge) sont visibles et correspondent en général à des coupes. Figure 6: Évolution du dépérissement prédit entre 2017 et 2022 sur une partie de la forêt de Tronçais. Des parcelles homogènes (en rouge) sont visibles et correspondent en général à des coupes. Conclusions et perspectives

      Ces travaux mettent en avant l’intérêt de l’imagerie Sentinel-2 pour le suivi systématique de la santé des forêts. Compte tenu du caractère diffus du phénomène observé, l’utilisation de méthode supervisée (ici Random Forest) s’est avérée nécessaire. Une particularité de notre approche est l’élaboration d’un modèle multi-annuel assez stable pour être utilisé plusieurs années successives. De nombreuses perspectives et pistes d’amélioration sont possibles. En particulier, il serait intéressant d’automatiser l’étape d’augmentation de données afin de remplacer les règles (rigides) appliquées actuellement. Un passage à l’échelle nationale pourrait être envisageable compte tenu de la relative robustesse du modèle pour la prédiction sur plusieurs années et sur des zones en dehors de la région d’apprentissage. Passer à un modèle feuillus et non spécifique au chêne pourrait également permettre de fournir un produit plus généraliste. Enfin, l’ajout d’images Sentinel-1 est une autre piste de recherche intéressante afin d’évaluer si la complémentarité entre les deux satellites est pertinente pour notre cas d’usage.

      Remerciements

      Nous remercions chaleureusement l’équipe iota2 du CESBIO (A. Vincent, H. Touchais, M. Fauvel, J. Inglada, etc.) et le CNES. Nous remercions également les divers participants du projet RECONFORT (liste non exhaustive) : ONF (J. Mollard, A. Jolly, M. Boulogne), CNPF (M. Chartier, J. Rosa), Unisylva (E. Cacot, M. Bastien), DSF (T. Belouard, FX. Saintonge, S. Laubray), INRAe (JB. Féret, S. Perret) et l’EI de Purpan (V. Cheret et JP. Denux). Ce travail a bénéficié d’une aide au titre du programme Ambition Recherche et Développement (ARD) SYCOMORE financé par la région Centre-Val de Loire.

       

    • sur A new operational method for monitoring oak dieback in the Centre-Val de Loire region

      Publié: 22 November 2023, 3:42pm CET par Florian Mouret
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      The results presented here are based on work published in the journal paper: F. Mouret, D. Morin, H. Martin, M. Planells and C. Vincent-Barbaroux, « Toward an Operational Monitoring of Oak Dieback With Multispectral Satellite Time Series: A Case Study in Centre-Val De Loire Region of France, » in IEEE Journal of Selected Topics in Applied Earth Observations and Remote Sensing, doi: https://doi.org/10.1109/jstars.2023.3332420

      Introduction

      Forest dieback is characterized by a reduction in tree vitality (defoliation, loss of branches and twigs), which may lead to death. It is caused by a combination of factors (soil, climate, pests, etc.) that can occur in sequence and/or in combination, leading to a loss of health in entire stands.

      Climate change, an aggravating factor

      Climate change has a direct impact on forests. The main factors are rising temperatures, extreme weather events and changes in rainfall patterns. Trees become more fragile and therefore more susceptible to pests and parasites, which are themselves favored by rising temperatures.

       

      Figure 1: Rate of standing dead trees by species (2015-2019 period) Source: IGN ( [https:]] Case study: Oak dieback in the Centre-Val de Loire region

      Sessile and pedunculate oaks, emblematic species of French forests and particularly present in the Centre-Val de Loire region, are affected by a massive increase in dieback. This increase follows the successive droughts of recent years (in particular 2018/2019/2020) and will continue in the coming decades. Unlike dieback in other species (e.g. bark beetle attacks on spruce), oak dieback is a slow and diffuse process that is particularly difficult to monitor.

      Implementation of an operational monitoring system based on the iota2 processing chain

      In this context, timely mapping of forest health is needed to best tailor the responses of the forest sector. Within the RECONFORT project of ARD SYCOMORE, a research program financed by the Centre-Val de Loire region, an operational monitoring system for oak decline has been developed by the University of Orléans and CESBIO. This monitoring system uses Sentinel-2 satellite imagery, which offers obvious advantages for such an application: high temporal revisit and spatial resolution suitable for precise detection. The processing chain is based on iota2, developed at CESBIO for large-scale mapping with satellite image time series. The use of iota2 means that the production chain is easily transferable and usable by different users (see, for example, our package for the production of dieback maps). In the context of our study, the iota2 chain was adapted to our needs. In particular, the model learning step is performed outside the chain, so that learning examples from several different years can be used (see Methods section).

      Study area and reference data

      Our study area corresponds to the Centre-Val de Loire region and its surroundings (see Figure 2). The training data are plots (20 trees) labeled between 2017 and 2022 according to the DEPERIS protocol used by the Département de la Santé des Forêts (DSF,  Department of Forest Health) in France. Taking into account branch mortality and lack of ramification, this protocol assigns to each tree a grade ranging from A (healthy) to F (dead). A grade of D corresponds to a declining tree with a loss of more than 50% of its crown. A plot is considered to be affected by dieback if more than 20% of the trees are declining (this is the convention used by foresters in France). In practice, we divided the plots into 3 categories according to the percentage of declining trees: healthy (less than 20%), declining (between 20 and 50%) and very declining (+50%). In total, more than 2,700 reference plots were used, half of which were labeled in 2020 during a national survey conducted by the DSF.

      Figure 2 : The study region is delimited by the grey area. The boundaries of the Centre-Val de Loire region and its departments are shown in white. Finally, the colored dots locate the reference data, each color representing a year of rating. The background uses cloud-free S2 images (Mouret et al., 2023). Method

      The processing chain developed for oak dieback detection is detailed in Figure 3. A contribution of our approach is the development of a multi-year learning set, which makes it possible to obtain a prediction model that can be used to predict dieback over several years. The main motivations for this multi-year approach were 1) to take advantage of the availability of plot references acquired over several years, and 2) to continue predicting in future years without the need to recalibrate the prediction model.

      As a first step, we studied different spectral indices extracted from Sentinel-2 images to identify those most suitable for monitoring oak dieback. Two complementary indices were selected: one related to chlorophyll content and the other to water content of the vegetation. As for the map production, we found that the predictions of the model learned from our raw data tended to oscillate between optimistic predictions (map with a majority of healthy pixels) and pessimistic ones (map with more dieback detected). These oscillations are caused by phenological variations and an imbalance in our training data. For example, predictions for the year 2020, which has a high proportion of healthy training data, are more optimistic than those for the year 2021, which has a higher proportion of declining training data. To improve the stability of our classifier (and its performance), we expanded our training data using a simple and intuitive procedure that can be summarized by the following two rules. Rule 1: a plot that was healthy in year Y was most likely healthy in years Y-1 and Y-2. Rule 2: a plot that was declining in year Y will most likely continue to decline in years Y+1 and Y+2. In practice (see details in the full article), the classification model used is a Random Forest and the input data are time series over two consecutive years of the two vegetation indices derived from the Sentinel-2 image described above. The training set is also balanced using the SMOTE algorithm, which generates synthetic examples in the minority classes.

      chaîne de traitement proposée (Mouret et al., 2023)Figure 3 : proposed processing chain (Mouret et al., 2023) Results

      Our validation results show that it is possible to accurately detect oak dieback (average overall accuracy = 80% and average balanced accuracy = 79%). A spatial cross-validation was also conducted with a buffer of 10km to evaluate the performance of the model on regions that were never encountered during training across all years, resulting in a slight decrease in accuracy ( ? 5%). Figure 4 shows the map produced for the year 2022. It highlights the heterogeneous state of forest health within the region: the Sologne region in the center of the image, for example, is in severe decline, while the northwest is less affected. As we did not have a high quality oak mask, we decided to use the OSO deciduous mask (preliminary studies have shown that the maps produced are quite relevant for deciduous trees in general). Looking at the oak mask « BD forêt V2 (IGN)« , the percentage of pixels in decline has increased from 15% in 2019 to 25% in 2022 (these results should be taken with caution and are probably pessimistic since the mask is old and we do not have a proper mask for clear cuts). Homogeneous plots (in red) are visible and generally correspond to clear-cuts. Figures 5 and 6 allow us to appreciate in more detail the spatial resolution of the analysis and the temporal evolution of the dieback in areas located in the state forests of Orléans and Tronçais. In particular, we can see how quickly and extensively dieback can change from one year to the next.

       

      Figure 4 : Mapping of deciduous stand dieback for the year 2022. Healthy, declining, and very declining pixels are shown in cyan, orange, and red. The OSO 2021 deciduous tree mask was used.

       

      Figure 5: Trends in predicted dieback between 2017 and 2022 on part of the Orléans forest (north-west). Homogeneous plots (in red) are visible and generally correspond to clear-cuts Figure 6: Trends in predicted dieback between 2017 and 2022 in part of the Tronçais forest. Some homogeneous plots (in red) are visible and generally correspond to clear-cuts. Conclusions and perspectives

      This work highlights the value of Sentinel-2 imagery for systematic forest health monitoring. Given the diffuse nature of the observed phenomenon, the use of a supervised method (here Random Forest) proved necessary. A particular feature of our approach is the development of a multi-year model that is stable enough to be used for several consecutive years. There are still many opportunities for improvement. In particular, it would be interesting to automate the data expansion stage to replace the (rigid) rules currently used. Mapping at national scale is another perspective, given the relative robustness of the model for prediction over several years and over areas outside the learning region. Switching to a deciduous model, not specific to oak, could also provide a more general production. Finally, the addition of Sentinel-1 imagery could be done to investigate whether the complementarity of the two satellites is relevant to our use case.

      Acknowledgements

      Our warmest thanks go to the iota2 team at CESBIO (A. Vincent, H. Touchais, M. Fauvel, J. Inglada, etc.) and to CNES. We would also like to thank the various participants in the RECONFORT project (non-exhaustive list): ONF (J. Mollard, A. Jolly, M. Boulogne), CNPF (M. Chartier, J. Rosa), Unisylva (E. Cacot, M. Bastien), DSF (T. Belouard, FX. Saintonge, S. Laubray), INRAe (JB. Féret, S. Perret) and EI de Purpan (V. Cheret and JP. Denux). This work was supported by the Ambition Recherche et Développement (ARD) SYCOMORE program funded by the Centre-Val de Loire region.

    • sur Aménager le territoire en France : la question du logement (Philippe Mazenc, 14 octobre 2023)

      Publié: 22 November 2023, 12:54pm CET par r.a.

      Philippe Mazenc (cliché de Denis Wolff)

      Invité des Cafés géo, Philippe Mazenc a un parcours original. Elève à Sciences-po Bordeaux, il passe le concours des Affaires maritimes et devient administrateur des Affaires maritimes, corps d’officiers de la Marine nationale. Puis il quitte ce corps et part dans la fonction publique civile, d’abord à la direction du Budget, puis au Secrétariat général du ministère de l’Ecologie, puis à la sous-direction de la Législation de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Paysages, et fait partie de ceux qui mettent en place la loi ALUR (2014). Il travaille ensuite à la préfecture de l’Ile-de-France puis à celle de Bretagne. Après y avoir passé quelques années, il devient directeur de cabinet adjoint de Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires puis, depuis quelques mois, il est directeur général de l’Aménagement, du Logement et de la Nature. Il est donc fort bien placé pour exposer les principaux aspects de la question du logement en France.

      1. Situation du logement en France.

      Le ministère est chapeauté par Christophe Béchu. Autour de lui, il y a plusieurs ministères délégués et secrétariats d’Etat. Naturellement, celui qui concerne en premier lieu Philippe Mazenc est le ministère délégué au Logement, Patrice Vergriete. Il y a aussi la ministre déléguée aux Collectivités territoriales et à la Ruralité (Dominique Faure) qui est sous la double tutelle de Christophe Béchu et Gérald Darmanin, le ministre délégué aux Transports (Clément Beaune) et la secrétaire d’Etat à la Ville (Sabrina Agresti-Roubache). Le premier patron de Philippe Mazenc est Christophe Béchu ; il dépend aussi de Patrice Vergriete, ainsi que de Sarah El Haïry, secrétaire d’Etat à la Biodiversité. Il est également à la disposition de deux autres ministres : Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique et Hervé Berville, secrétaire d’Etat à la mer. Cela plante le décor. Philippe Mazenc dépend de sept ministères, sept cabinets, quarante conseillers, pas toujours coordonnés !!!

      Quelques chiffres donnent une idée, un ordre de grandeur des problèmes. La politique du logement coûte environ 43 milliards d’euros par an. L’hébergement d’urgence généraliste offre 203 000 places tous les soirs. Il faut compter en plus 100 000 places dans le dispositif général d’asile (DNA) géré par le ministère de l’Intérieur. Tous les soirs en France, il y a donc 300 000 personnes hébergées au titre d’un de ces dispositifs. Il y a enfin le logement social. Mais, malgré les aides publiques sur le logement, les bailleurs sociaux sont des entreprises qui ont besoin de solvabilité. Un choix s’opère à l’entrée dans le logement social (des commissions d’attribution des logements). L’attente moyenne serait de douze ans en Ile-de-France, mais si l’on est fonctionnaire ou que l’on a un CDI, c’est beaucoup moins ; en revanche, si l’on n’a qu’un CDD et/ou que l’on sort d’un hébergement d’urgence…

      En 2021, on avait en France un peu plus de 37 millions de logements ordinaires dont 56 % de logements individuels, 82 % de résidences principales (en légère baisse), 10 % de résidences secondaires (en légère hausse), 8 % de logements vacants (soit plus de 3 millions). 1,6 million de personnes logent en logement non ordinaire (logement social, CROUS…). Contrairement aux pays du Nord, la maison individuelle, le fait d’être propriétaire, est un fait marquant en France : 58 % des ménages sont propriétaires de leur résidence principale, 25 % sont locataires dans le parc privé et 18 % locataires dans le parc social (ce qui est relativement important). Il est très difficile de faire des comparaisons internationales sur le logement social car il ne dépend pas toujours de l’Etat et les définitions du logement social varient d’un pays à l’autre.

      19 % des ménages déclarent souffrir du froid pendant l’hiver, 10 % sont confrontés au surpeuplement et 9 % ne disposent pas de logement personnel (partage du logement). Les pouvoirs publics ont la volonté de réduire le nombre de personnes à la rue : ainsi, ces dernières années, le nombre de places en hébergement d’urgence dit « généraliste » a sensiblement augmenté (154 000 places en 2019, 203 000 aujourd’hui). Dans ce type d’hébergement, 52 % des personnes sont en situation irrégulière (absence de titre de séjour) ; le plus souvent, elles ne peuvent pas entrer dans le dispositif national d’asile (la plupart des demandes sont rejetées). Ce chiffre est en hausse et va continuer à croître.

      Il est souvent argué qu’il faudrait construire 500 000 logements neufs par an, dont 150 000 logements sociaux. En fait, personne n’en sait rien car il est difficile de mesurer le besoin en logements. Cela supposerait des études territorialisées actuellement non réalisées. En 2023, on va péniblement construire 90 000 logements sociaux ; depuis un an et demi, la réduction des constructions est particulièrement forte dans les zones tendues.

      Plusieurs programmes aident les particuliers et la collectivité. Les APL (aides personnelles au logement) et les AL (aides au logement) représentent le plus important : 13,3 milliards d’euros avec peu de marges de manœuvre car il s’agit d’une dépense de guichet pour aider les particuliers. Le programme Eau et biodiversité est en nette augmentation : 274,5 millions d’euros cette année et on espère 414 millions d’euros l’an prochain. Pour l’eau, il s’agit surtout des agences de l’eau : l’eau ne vient jamais du robinet (elle vient d’un fleuve, d’une nappe phréatique, de l’eau de surface… Pour Paris, voir ici). Cela représente environ 2,3 milliards d’euros. Il y a aussi le Fonds vert, lancé en 2022, doté de 2 milliards d’euros en 2023 (en 2024 augmentation prévue de 500 millions d’euros qui serviront à la rénovation des écoles) et déconcentré (géré par les préfets), et le programme Urbanisme, territoires et amélioration de l’habitat doté de 800 millions d’euros. Enfin, les bailleurs sociaux sont soumis à une contribution qui alimente le FNAP (Fonds national des aides à la pierre) et qui représente 400 millions d’euros.

      Philippe Mazenc présente ensuite quelques documents. Le premier, sur l’exode urbain après le Covid, remet en cause certaines idées reçues (par exemple : beaucoup de Parisiens ont acheté une maison sur le golfe du Morbihan). La migration de Paris vers la province s’est un peu accélérée mais n’est pas considérable, les déménagements se sont surtout faits de grande ville à grande ville et on continue à avoir une extension de la périurbanisation. Le second est le fruit d’un partenariat du ministère avec l’IGN (Institut géographique national) ; il porte notamment sur l’artificialisation des sols

      2. La transition écologique.

      Il convient d’abord de mesurer la hauteur du mur devant nous. Les bâtiments représentent en France environ 17 % des émissions de gaz à effet de serre. Il y a quelques années, dans le cadre de la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), on avait voté un premier budget carbone : entre 2015 et 2018, on devait réduire les émissions. En fait elles ont augmenté de 11 % entre ces deux dates. Le Green Deal (= Pacte vert) a été lancé par la Commission européenne en 2020 ; sa déclinaison en France s’est traduite par est la création du secrétariat général à la Planification Ecologique (SGPE), service du Premier Ministre dirigé par Antoine Pellion ; il a pour but de coordonner les efforts de toutes les administrations de l’Etat, en particulier pour réduire l’émission de gaz à effet de serre. C’est ce secrétariat qui, après une large concertation, fixe des objectifs de réduction. Dans le secteur du bâtiment, l’objectif est de réduire de 61 % les émissions de gaz à effet de serre en 2030, par rapport aux émissions de 2019 (il faut réduire les émissions de ces gaz pas uniquement dans la construction, mais de la conception au recyclage). C’est un chantier énorme, et qui va encore être renforcé, car on sait que des directives européennes vont sortir, notamment sur la performance énergétique des bâtiments. On travaille beaucoup avec la direction des Affaires européennes et internationales (DAEI). Cela dit, il n’est pas certain qu’après les élections européennes de juin 2024, la nouvelle majorité au sein du Parlement européen soit aussi favorable à la transition écologique que la majorité actuelle : les élections européennes auront des conséquences considérables sur notre vie quotidienne en France car on est sur des directives européennes et des financements européens sur la transition écologique.

      Voyons maintenant les enjeux. Compte tenu des objectifs de réduction de l’artificialisation des sols (la loi Climat et résilience de 2021 fixe un objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols en France à l’horizon 2050) et des projections démographiques, on estime aujourd’hui que 80 % de la ville de 2050 est déjà construite. L’enjeu est donc au moins autant sur la rénovation que sur la construction neuve. Or la rénovation coûte aussi cher (voire plus cher) que la construction et est souvent plus compliquée. L’enjeu est la massification de la rénovation énergétique. Or le secteur du bâtiment non résidentiel est essentiellement composé de toutes petites entreprises qui ne sont pas en mesure d’effectuer une rénovation globale. D’une manière plus générale, changer une chaudière n’est guère compliqué ; faire une rénovation globale d’un logement l’est beaucoup plus.

      Les dispositifs d’aide sont nombreux, à commencer par MaPrimeRénov’ qui représente 6 milliards d’euros cette année, 4 milliards en 2024. Les gens se demandent parfois pourquoi l’Etat finance la rénovation des chaudières. Il faut certes favoriser la rénovation globale, mais on ne peut se passer de la simple rénovation. On essaie donc de réduire le reste à charge, notamment pour les personnes modestes. Le but est de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. L’éco-PTZ (éco-prêt à taux zéro) est un dispositif pour la rénovation des logements : c’est un crédit d’impôts qui peut couvrir jusqu’à 30 % du coût de la rénovation pour les petites et moyennes entreprises. Par ailleurs, on estime que, pour la rénovation des logements sociaux, il faudrait entre 4 et 9 milliards d’euros par an (si on veut réduire de 60 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030). Pour cela, l’Etat apporte 400 millions (c’est certes une somme, mais est-elle à la hauteur de l’enjeu ?). Enfin, on applique la norme RE 2020 (RE = Réglementation environnementale) pour la construction et la rénovation des bâtiments. Elle augmente le coût de construction de 3 à 4 %, et va augmenter avec la mise en œuvre de toutes les mesures pour atteindre 10 % dans quelques années. Cela s’explique par l’usage de meilleurs matériaux, par l’isolation et, de manière générale, par la performance énergétique. Philippe Mazenc est sensible au problème des surcoûts mais rappelle que ceux-ci doivent se mesurer par rapport à la totalité du cycle de vie du bâtiment… ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Et a-t-on vraiment le choix en matière de transition écologique ?

      3. Une approche transversale.

      L’écueil serait d’examiner les enjeux et la politique du logement, d’hébergement et d’aménagement au travers du seul prisme de la transition écologique. La clé est d’avoir cette approche transversale. Le SGPE (secrétariat général à la Planification écologique) a d’ailleurs adopté cette approche transversale. La transition écologique ne doit pas être vécue comme seulement descendante et uniquement axée sur la réduction des gaz à effet de serre. Des réunions vont être organisées sous l’égide des Présidents de conseils régionaux et des préfets de région : ces sortes de COP (comme la COP 21) vont être organisées dans les treize régions métropolitaines d’ici la fin de l’année. Cela paraît ambitieux. L’idée est d’abord de poser un diagnostic puis d’avoir des plans régionaux de planification écologique d’ici à l’été 2024. Les COP vont avoir une approche transversale : cela ne concernera pas que le bâtiment mais aussi les transports, les universités… On devrait aborder des sujets très importants : diminution très forte des constructions, augmentation des taux pour les particuliers, mais aussi pour les constructeurs, et notamment pour les bailleurs sociaux. En effet, le logement social est en partie financé par des prêts bonifiés de la Caisse des dépôts, fonds qui proviennent essentiellement de la collecte du livret A. Or, si les épargnants apprécient l’augmentation du taux d’intérêt de ce livret, celle-ci provoque aussi une augmentation du coût à la construction pour les bailleurs sociaux.

      Par ailleurs, il faut s’interroger sur les effets des résidences secondaires et de la location saisonnière, surtout dans les zones très tendues où il y a un vrai problème d’accès à la résidence principale. On est dans la transversalité car cela pose le problème de l’accès au foncier et de l’accès au logement. Des groupes de travail ont été lancés pour lutter contre l’attrition des logements en zone touristique. Il y aura sans doute une proposition de loi d’une députée du Finistère et d’un de l’Eure à ce sujet. C’est un phénomène qu’on a du mal à quantifier. Les logements meublés non professionnels (LMNP) sont imposés à différents taux, mais meilleurs que la location nue. Il faudrait harmoniser les taux d’imposition (mais les parlementaires ont du mal à trouver un point d’accord) : est-il normal qu’on bénéficie d’un abattement fiscal plus important quand on vit en zone touristique qu’au centre de Paris ?). Cela dit, il faut nuancer. Dans le Finistère, la majorité des résidences secondaires sont le fait de mutations ou d’achats infrarégionaux, voire infra-départementaux : plus de 50 % des résidences secondaires appartiennent à des gens qui habitent soit dans le Finistère, soit en Bretagne. Le mantra consistant à dire : ce sont de riches Parisiens qui achètent leurs résidences sur le golfe du Morbihan est faux ! Cela dit, ça ne résout pas le problème…

      Philippe Mazenc rappelle qu’il a été recruté au cabinet de Christophe Béchu pour s’occuper de la décentralisation des politiques du logement. Il y a eu une évolution entre 2012 et 2023. En 2012, il y avait à l’Assemblée nationale des députés-maires, présidents des offices publics de l’habitat, donc au fait des problèmes liés à l’habitat. Or, avec la fin du cumul des mandats, les députés ne sont en général plus spécialistes du logement. Et la question du logement est devenue complexe en raison de la réglementation et notamment du grand nombre de lois : code de la construction, code de l’action sociale et des familles, loi de 1989, loi de 1965 sur la copropriété privée… Sans prendre position sur la réforme de la fin de cumul des mandats, Philippe Mazenc estime que n’avoir que peu de spécialistes au Parlement pose problème. Aujourd’hui, on a une réglementation nationale avec un zonage de tout le territoire en A, A bis, B1, B2 ou C : un décret va dire que Plogoff, dans le Finistère, est en zone C, que Rennes est en B1 … Ce zonage détermine l’éventuel encadrement des loyers, les aides et la fiscalité : on a ainsi le droit de faire du Pinel (= dispositif d’investissement locatif : réduction d’impôt sur le prix d’achat d’un logement mis en location) ou du logement locatif intermédiaire en A ou en B1 mais pas en B2 ou en C. Tout cela est décidé depuis Paris… L’idée est de faire sauter ces zonages et de responsabiliser les collectivités en fixant seulement quelques critères objectifs de tension. Les maires sont très mobilisés sur cette question, mais il n’existe pas à ce jour de consensus interministériel.

      Par ailleurs, on subit les conséquences de la suppression de la taxe d’habitation. Quel est aujourd’hui l’intérêt pour un maire d’avoir de nouveaux habitants ? Cela induit des coûts : services supplémentaires : crèches, écoles, transports, réseaux d’assainissement… Comment fait-on pour inciter les maires à accueillir de nouveaux habitants ? La fiscalité locale serait à repenser pour inciter les maires à construire de nouveaux logements.

      Aujourd’hui, l’Etat intériorise toutes les contraintes sur le logement. Il est souvent très critiqué, mais que peut-il faire ? De plus, un certain nombre de maires ne font pas grand-chose pour construire des logements. D’ailleurs, les collectivités comme les associations d’élus ne demandent pas aujourd’hui de nouvelles mesures de décentralisation… sauf pour récupérer l’argent de MaPrimeRénov’ (4 milliards d’euros) et pour bénéficier des aides à la pierre (800 millions d’euros). Or ce n’est pas de la décentralisation ! Aujourd’hui le préfet dispose d’un contingent-Etat de 25 % des attributions de logements sociaux ; un ménage sur quatre présenté en commission d’affectation de logement chez un bailleur social se voit attribuer un logement par le préfet. Il s’agit de ménages fragiles, par exemple des DALO (= Droit au logement opposable). Si on est reconnu ménage prioritaire au titre du DALO, l’Etat a six mois pour vous proposer un logement ; sinon, on peut faire un recours contre l’Etat qui est alors condamné à payer des astreintes qu’il verse à un fonds appelé AVDL (Accès vers et dans le logement), qui sert à reloger les ménages. L’Etat fait très attention dans les zones tendues, notamment en Ile-de-France. En Bretagne, alors qu’il y a pourtant des enjeux, il a abandonné cette prérogative depuis longtemps aux bailleurs sociaux. Derrière tous ces problèmes, il y a une question de responsabilisation de tous les échelons de collectivités et de l’Etat.

      Le débat est très complexe. Aujourd’hui, il y a un enjeu autour de la mixité sociale dans les quartiers. Cela fait partie de réflexions en vue de futures dispositions législatives. Il y a quelques années, un certain nombre de décrets ont été pris contre l’avis du gouvernement notamment sur les résidences à enjeu de mixité sociale, où un bailleur peut s’opposer à l’entrée de telle ou telle famille. Ce sont des sujets hypersensibles. Il y a une proposition de loi déjà citée sur l’attrition des logements en zone touristique, il va y avoir un projet de loi sur les copropriétés dégradées. On ne peut pas dire qu’il y ait un manque de financement de l’Etat dans les quartiers où s’exerce la politique de la ville (cf. chiffres de l’ANRU, Agence nationale pour la rénovation urbaine). Face aux copropriétés dégradées, l’Etat met en place des prêts bancaires à taux zéro mais il est difficile de financer une copropriété dont les ménages sont très peu solvables. Peut-on monter des prêts collectifs ? Peut-on renforcer des dispositions sur les expropriations et les préemptions, notamment dans les parties communes ? Un projet de loi devrait sortir à l’automne. Enfin, Philippe Mazenc espère que le projet de loi sur la décentralisation sortira au premier semestre 2024.

      Il y a quand même eu beaucoup de réalisations. L’objectif est de décentraliser et de déconcentrer beaucoup plus. On a mis en place depuis deux ans le fonds vert (2 milliards d’euros jusqu’à cette année et on va passer à 2,5 l’an prochain). En matière de décentralisation et de déconcentration, la clé est l’approche globale. Et il faut surtout être proche du terrain.

      4. Questions.

                  Question. On parle de transition énergétique punitive. De quoi s’agit-il ? Il faut faire cette transition énergétique mais on recule souvent la mise en application des mesures prises.
                 Réponse. Philippe Mazenc acquiesce à ce dernier point. Il ne sait pas ce qu’est la transition écologique punitive. Il était la veille à Lorient, à l’Assemblée générale de l’Association nationale des élus du littoral (ANEL). On y a abordé de nombreux sujets dont un qui va encore mobiliser les réflexions : la gestion du trait de côte (pouvoir étatique). On ne va pas décréter la fin de la montée du niveau de l’eau et de l’érosion ! Et l’Etat ne pourra pas indemniser tous les propriétaires. Par ailleurs, selon le ZAN, voté dans la loi Climat et Résilience de 2021, d’ici à 2031, il faudra consommer deux fois moins d’espaces naturels, agricoles et forestiers par rapport à la période entre 2011 et 2021 (grosso modo, on a consommé 244 000 hectares pendant cette période). Cela dit, face à la fronde des maires, une dernière loi, votée en 2023, prévoit des concessions. Selon Laurent Wauquiez, il s’agit d’écologie punitive ; donc il voudrait retirer « sa » région Auvergne-Rhône-Alpes du ZAN. Mais il ne peut naturellement pas sortir d’une disposition législative.

               Question. Dans l’habitat collectif privé (les copropriétés), les DPE (diagnostics de performance énergétique) apparaissent comme compliqués et, quand on veut faire des travaux, c’est très long (exemple : sept ou huit ans pour changer le chauffage !) en raison d’une réglementation très rigide. Est-il envisagé de faire quelque chose afin que les travaux puissent être réalisés plus rapidement ?
                  Réponse. Dans le cas d’un DPE, il faut considérer la nature des murs et pas uniquement le chauffage… Et il y a le problème des règles de majorité en copropriété qui font perdre un temps fou. Au ministère du Logement, on voudrait régler ces problèmes collectifs, notamment en abaissant les seuils de majorité et peut-être en en diminuant le nombre ; mais le ministère de la Justice est extrêmement attentif au droit de propriété ainsi que la section du Conseil d’Etat qui s’occupe de ces questions.

                  Question. Quelle part représente l’habitat collectif privé ?
                  Réponse. C’est la part la plus importante, surtout en zone urbaine. Il y a un vrai sujet sur les copropriétés, notamment sur la rénovation énergétique. Philippe Mazenc est favorable aux pompes à chaleur (PAC), mais on n’en mettra jamais une à Paris en raison des nuisances sonores ! Dans certaines villes, il y a un réseau de chaleur urbain (RCU, communément appelé chauffage urbain) ; ce serait à développer mais on ne peut pas en mettre partout. Ainsi, à Lamballe où l’une des plus grandes coopératives de Bretagne, la Cooperl, a monté une usine de méthanisation qui alimente le réseau de chauffage urbain de la ville qui se chauffe donc à la fiente de porc. La géothermie a fait beaucoup de progrès mais on ne peut pas en profiter partout ; il y a derrière un problème de gestion d’eau.

                  Question. Y a-t-il une réflexion sur la récupération des eaux de pluie ?
                  Réponse. Oui, il y a une réflexion mais débouchera-t-elle ? Aujourd’hui, un préfet n’a pas la possibilité règlementaire de s’opposer à un lotissement qui ne serait pas raccordé à un réseau d’eau, car le code de l’urbanisme actuel ne le permet pas . Aujourd’hui, même si on doit étendre un réseau d’eau, ce n’est pas un motif de refus du PLU (Plan local d’urbanisme) ou d’un permis de construire. Par ailleurs, on mesure mal les effets de la récupération de l’eau de pluie sur les nappes phréatiques et le cycle de l’eau, si elle était pratiquée à haute dose. Enfin, il faut aussi considérer la réutilisation des eaux usées. La responsabilité politique est du ressort du ministère de l’Ecologie… sauf que, si le ministère de l’Ecologie est responsable de l’eau sortant des stations d’épuration, il ne l’est pas de la réglementation dans le bâtiment, de la réutilisation dans l’alimentaire… Dès qu’on parle d’agro-alimentaire, cela relève du ministère de l’Agriculture. Le ministère de l’Ecologie a la responsabilité politique autour de cette question de l’eau mais n’a pas le pouvoir règlementaire. Dès qu’on touche au bâtiment, cela relève du ministère de la Santé. Il faudrait pouvoir garantir qu’une eau usée réutilisée ou l’eau de pluie a une qualité absolument identique à une eau « normale », y compris pour un usage non domestique (lavage de surface ou toilettes). Et, sauf à séparer les réseaux d’eau, jamais un bailleur social ne va prendre le risque d’utiliser de l’eau qui ne serait pas complètement conforme, même pour nettoyer les sols ! Si on a une obligation en termes de qualité de l’eau à la sortie, cela signifie qu’on ne réutilisera pas les eaux usées. Il faudrait seulement qu’il y ait une obligation de moyens. Aujourd’hui, on réutilise 1 % de l’eau en France, 7 à 8 % en Espagne et en Italie (réglementation plus souple) et 40 % en Israël.

                  Question sur le mouvement des gilets jaunes.
                  Réponse. Le mouvement semble autant lié au logement qu’à la mobilité. La poursuite de la périurbanisation est très inquiétante. Elle induit des surcoûts, notamment en matière de transports… Tant que la périurbanisation continuera, on aura ces problèmes de mobilité et de logement. La structuration de la politique urbaine ne produit d’effet qu’à quinze ou vingt ans. Le problème de l’accès au logement pour les jeunes a pris beaucoup d’importance depuis deux ou trois ans. On a eu une conjonction de facteurs qui n’aident pas : augmentation du coût et manque de disponibilité du foncier, augmentation des taux, pouvoir d’achat qui n’a pas suivi l’inflation…

                 Question. Le conseil régional d’Ile-de-France parlait de construire la ville sur la ville, ce qui pose la question de la hauteur des bâtiments. Quelle est la réflexion à ce sujet ?
                  Réponse. Si on souhaite une non-artificialisation des sols, il faut construire la ville sur la ville. C’est l’objectif, mais il n’est pas entre les mains de l’Etat car ce sont les maires qui délivrent les permis de construire. Or les maires n’ont pas d’incitation financière (ils ne perçoivent plus la taxe d’habitation) et ils ont une opposition sociale à la densification de plus en plus forte. L’Etat ne délivre des permis de construire que dans des cas très rares.

                  Question. Qu’est-il fait pour la revitalisation des centres des villes petites et moyennes et pour freiner l’étalement pavillonnaire ?
                  Réponse. Pas mal de choses ont été faites, essentiellement pour les petites villes et les moyennes (de moins de 20 000 habitants). Ce sont toujours des opérations mixtes : on subventionne des opérations à la fois pour la revitalisation du commerce et aussi du logement. Il y a aussi des dispositifs fiscaux dans l’ancien : la loi Malraux (pour la réhabilitation) et la loi Denormandie. Il y a aussi des politiques publiques, notamment pour les villes en déprise. Pour les villes un peu plus grandes, tout ne va pas bien : il y a la question des permis de construire délivrés pour des centres commerciaux en périurbain malgré une réglementation qui essayait de les freiner. Aujourd’hui, les centres commerciaux périurbains sont en difficulté et commencent à appeler l’Etat à l’aide ; est-on dans une période de bascule ? Et il y a tout le débat autour de la France moche (cette formulation date de 2010) mais, que faire ?

                  Question. Avec la décentralisation, que peut-on attendre de l’Etat demain ? Quelle sera sa place ?
                Réponse. L’Etat, aujourd’hui, porte seul l’ensemble de la contrainte, alors qu’il ne détient pas tous les leviers : il faudrait rapprocher la responsabilité de tous les acteurs. Il faut exclure l’hébergement d’urgence de la décentralisation. A côté, l’Etat a des obligations et des enjeux de solidarité nationale. Ainsi, la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain) oblige les communes à disposer de 20 ou 25 % de logements sociaux (article 55) ; il est hors de question que l’Etat se désengage.

                  Question à propos du rejet du fait régional dans les régions fusionnées.
               Réponse. Dans une région non fusionnée comme la Bretagne, avec seulement quatre départements, il y a une cohérence régionale et une cohérence de l’Etat régional. Mais qu’en est-il dans le Grand Est ou en région Nouvelle Aquitaine ? Et, paradoxalement, non seulement la réforme n’a pas renforcé le pouvoir des régions mais elle a au contraire considérablement affaibli le pouvoir régional. Sur une région à quatorze départements, où est la cohérence de l’action de l’Etat ? Or 80 % des politiques non régaliennes de l’Etat se situent à l’échelle régionale. Et, si on n’est pas capable s’assurer la coordination à l’intérieur de régions composées de tant de départements, cela pose un grave problème de cohérence de politique de l’Etat.

       

      Compte rendu rédigé par Denis Wolff, novembre 2023.