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Gouverner à l’ère du Big Data

Nouvelle publication : Gouverner à l’ère du Big Data, Promesses et périls de l’action publique algorithmique par Elisabeth Grosdhomme Lulin


Paris, le 26/05/15 – L’action publique change de nature à l’image de la société qu’elle sert. Au coeur de cette transformation : le numérique, qui est redessine les contours du service public de demain. La nouvelle étude de l’Institut de l’entreprise, Gouverner à l’ère du Big Data.
Promesses et périls de l’action publique algorithmique envisage le déploiement du numérique dans l’action publique autour de trois grands axes : la collecte en continue de données comportementales, la sophistication et l’individualisation des traitements qui donnent du sens à ces données, la possibilité de prendre des décisions publiques de manière automatique, sans intervention humaine, avec effet immédiat, sur la base des données ainsi collectées et traitées.
Si ce déploiement permet une action publique plus personnalisée, plus prédictive, plus préventive et plus participative, la mise en place de ce service public «augmenté » par le numérique suppose de relever six défis majeurs : compétences, modèle économique, modèle social, fiabilité, culture décisionnelle et libertés individuelles.
L’action publique algorithmique et les « 4P »
Pour l’usager, l’« action publique algorithmique », fondée sur l’utilisation du Big data et du numérique promet d’être plus personnalisée, plus prédictive, plus préventive et plus participative.
Personnalisée. Un service public qui s’adaptera davantage à nos besoins – plutôt que de nous obliger à nous ajuster à ses contraintes – est une aspiration forte des usagers, contrecarrée jusqu’à présent par ses difficultés pratiques (coût et complexité d’organisation) et par des objections de principe (la double exigence d’universalité et d’égalité d’accès du service public). Le numérique apporte des réponses à ces deux défis, dessinant ainsi un service public qui puisse rester unique dans ses principes et finalités, mais se différencier dans ses modalités pour
servir au mieux ses bénéficiaires.
Prédictive et Préventive. L’action publique algorithmique permettra de passer du statique au dynamique ou, pour le dire autrement, du réactif au proactif, du curatif au préventif. On en voit déjà des illustrations, ne serait-ce qu’à titre expérimental, dans bien des domaines : police prédictive, régulation du trafic automobile, prévention de l’échec scolaire.
Participative. Sans en être la cause première, le numérique sera un puissant adjuvant des pratiques participatives qui caractériseront le service public de demain. Ce dernier sera co- produit tantôt par ses usagers directs, co-opérant au bon fonctionnement du service qui leur est rendu dans une nouvelle forme de réciprocité des droits et devoirs, tantôt par l’ensemble des citoyens, vous et moi, appelés à participer en tant que membres de la collectivité et, ce faisant, gardiens et artisans du bien commun. Pour que les citoyens s’engagent et pour que les administrations soient en mesure d’accueillir et de valoriser leur contribution, le numérique remplira une fonction critique : distribuer les rôles, coordonner les tâches, permettre à chacun de se greffer sur l’action collective.
Six défis à relever
Défi #1 : les compétences
Entre le rêve et la réalité de l’action publique algorithmique, il y a un immense travail de maîtrise d’ouvrage et de maîtrise d’oeuvre informatique. Or l’histoire récente de l’administration est semée d’échecs retentissants à cet égard, qui témoignent de la difficulté à concevoir et conduire des projets informatiques d’envergure. Si cette difficulté n’est pas propre à l’Etat, elle prend pour lui une acuité toute particulière en raison du cloisonnement des administrations, de la complexité des normes applicables et de l’hétérogénéité des systèmes informatiques
existants, qu’il s’agit souvent de remplacer ou d’interfacer.
Défi #2 : le modèle économique
Le basculement vers le Big Data suppose d’énormes investissements dans la collecte et le traitement des données. Etant donné l’impératif de maîtrise de la dépense publique, l’administration devra non seulement expliciter précisément la création de valeur attendue de chaque projet, et veiller ensuite à sa réalisation effective, mais aussi se montrer ingénieuse dans le choix des montages économiques et financiers. Aux solutions traditionnelles de sous-traitance (depuis la régie pure et simple jusqu’aux formes les plus créatives de partenariats publicsprivés) s’ajouteront tout spécialement les modèles de « sur-traitance », caractéristiques de l’économie numérique, dont la sphère publique a encore peu l’habitude.
Défi #3 : le modèle social
Pour que l’administration puisse embrasser pleinement les opportunités offertes par le basculement vers le numérique, elle devra moderniser ses pratiques managériales pour pouvoir gérer sereinement deux types d’ajustement : des ajustements qualitatifs, portant sur les compétences et qualifications de ses agents (globalement plus numériques, plus stratégiques, plus systémiques et moins dans l’exécution simple), et des ajustements quantitatifs, portant sur l’allocation des gains de productivité potentiels.
Défi #4 : la fiabilité
L’action publique algorithmique, en intégrant de plus en plus de systèmes informatiques dans le pilotage des infrastructures et des services essentiels à la vie publique, prête le flanc à de nouvelles vulnérabilités techniques, et finalement de nouveaux risques pour la souveraineté nationale. Elle supposera donc de consacrer un effort plus soutenu que jamais à l’identification des risques, la mise au point de solutions de continuité d’activité, le partage pertinent entre make et buy (ce qui doit être contrôlé en interne et ce qui peut être sous-traité à l’extérieur), voire un investissement en recherche-développement, et peut-être industrialisation, pour garder une capacité nationale minimale dans certains domaines critiques.
Défi #5 : la culture décisionnelle
Les valeurs qui guident la décision publique peuvent rester de l’ordre du non-dit d’une culture partagée lorsque la décision est prise par une personne en chair et en os ; en revanche, elles doivent être précisément énoncées et hiérarchisées pour pouvoir entrer dans un algorithme. Cette exigence accrue de transparence de l’action publique, et surtout d’explicitation des valeurs qui l’inspirent, constituera une discipline très rigoureuse pour les responsables politiques ou administratifs. Elle imposera aussi d’équiper notre démocratie d’une capacité d’audit des algorithmes, qui modifiera la culture de la décision.
Défi #6 : les libertés individuelles
Avec l’émergence de l’action publique algorithmique, les combats précurseurs « Informatique et Libertés » des années 1970 se posent en des termes et avec une acuité renouvelés. Ils changeront sans doute légèrement de cible : l’enjeu ne sera plus tant d’interdire la collecte de données, tant celle-ci est désormais pervasive dans notre vie quotidienne, que d’assurer la transparence de cette collecte (chacun doit savoir qui détient quelles données sur lui), de veiller à ce que chacun reste propriétaire de ses données et puisse les valoriser à son bénéfice, enfin de contrôler l’usage des données en sorte qu’il ne soit ni discriminatoire, ni attentatoire aux libertés. Le risque majeur ne réside pas tant dans la perte de confidentialité de nos faits et gestes (déjà largement entamée par les smartphones et les réseaux sociaux, quelle que soit l’action de l’Etat) que dans la protection de notre libre arbitre, de notre capacité à faire des choix et à échapper au conformisme induit soit par le regard des autres, devenu plus prégnant, soit par la structuration de notre « menu d’options » par des algorithmes; elle est très développée dans les pays anglo-saxons.
Julie Micheli / jmicheli@texte-a-enlever.idep.net
www.institut-­‐entreprise.fr
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