#1 Tue 29 June 2004 13:37
- Jmb Geo
- Invité
Demeter, satellite renifleur de seismes
Concu par le Cnes, l'engin est lance aujourd'hui par un ancien missile sovietique.
Par Sylvestre HUET
Liberation du mardi 29 juin 2004
Attention, la Terre va trembler. Bip, bip, message en provenance d'un espion spatial. Alerte aux services de protection civile, evacuation des batiments, sortie des pompiers... Predire la survenue d'un seisme depuis l'espace semblait relever, jusqu'a ces dernieres annees, de l'imposture scientifique. Pourtant, ce matin, le Cnes (l'agence spatiale francaise) va mettre sur orbite Demeter, un satellite dont la mission sera justement de tester cette idee. Mission audacieuse pour le premier microsatellite de la filiere Myriade que le Cnes a concocte pour les scientifiques presses et pas tres fortunes. Petit, un cube de moins d'un metre de cote. Leger, moins de 130 kilos. Pas cher, 17 millions d'euros, avec des systemes non redondants donc un risque de panne plus eleve. Mais malin : une memoire de mammouth, un debit de communication eleve, et un reseau de neurones premiere utilisation a bord d'un satellite de ce systeme d'intelligence artificielle susceptible d'apprentissage qui analyse ra les donnees en temps reel pour detecter des evenements interessants.
Prix imbattable. Pour ecraser les prix, Demeter est lance depuis Baikonour (Kazakhstan) par un SS18, nom de code Satan, le plus puissant des missiles intercontinentaux sovietiques lors de la guerre froide. Promis a la casse apres les accords Start (Strategic Arms Reduction Talks), il s'est trouve un destin final plus positif. Legerement modifie et rebaptise Dnepr pour cette nouvelle carriere pacifique, il offre un acces a l'espace a prix imbattable.
L'idee que les geophysiciens (1) vont tester se resume a ce nouvel adage : quand la Terre se prepare a trembler, l'ionosphere tousse. L'ionosphere, entre 60 et 1 000 kilometres d'altitude, est presque vide, mais les atomes qui s'y trouvent sont ionises (ils ont perdu des electrons) sous l'effet des rayons UV du soleil et par les rayons cosmiques. Ce milieu tres reactif et fluctuant serait, selon les scientifiques a l'origine de Demeter, perturbe par les ondes acoustiques emises par les roches en compression sur le point de ceder et par des decharges electriques, «quelques heures a quelques jours» avant le seisme, explique Michel Parrot (CNRS, Orleans), responsable scientifique de Demeter. Emissions d'ondes electromagnetiques et variations de la densite electronique s'ensuivraient, phenomenes que l'espion spatial pourrait mesurer. L'idee repose sur la theorie , «mais aussi sur des observations de l'ionosphere lors de seismes», precise le geophysicien. L'ennui : tout cela est «mal compris» et l'on a observe des situations avec seismes mais pas de signaux dans l'ionosphere. Il fallait, pour evoluer, une «experience probatoire, donc pas chere, mais tout de meme capable d'observer toute la Terre et de maniere plus precise les zones sismiques».
Bonus. Demeter va ausculter l'ionosphere durant un an depuis son orbite a 700 kilometres. Les geophysiciens pourront relier ses perturbations dans le temps et l'espace avec les seismes terrestres enregistres au sol. Les Francais se concentreront sur le piton de la Fournaise a La Reunion et le golfe de Corinthe. Ils beneficieront aussi du reseau mondial Geoscope de l'Institut de physique du globe de Paris. En outre, «trente-cinq equipes etrangeres (Etats-Unis, Japon, Inde...) se sont jointes a nous et echangeront leurs donnees sol contre nos donnees spatiales». Au total, une masse enorme d'informations dont l'analyse permettra de savoir si l'idee initiale peut se transformer en systeme operationnel... ou non. Bonus : Demeter va cartographier les perturbations de l'ionosphere resultant de la pollution electromagnetique (telecoms, radio, lignes electriques...). Perturbations soupconnees de provoquer un accroissement du nombre des orages et de generer des gaz a effet de serre.
(1) LPCE, Laboratoire de physique et chimie de l'environnement (CNRS Orleans), initiateur, et cinq partenaires scientifiques.
http://www.liberation.fr/page.php?Article!9411